Vraiment une question de foi ? Imagine-toi en conversation avec Molière, tout d’un coup il a des choses à te dire ! Plus question qu’on te dérange… « Taisez-vous, je parle avec Molière ! » Maintenant, imagine-toi à la place de Mats et Peter, les copains de quatrième : ça te fait bien rigoler… mais si tu parles vraiment avec Molière, tu t’en moques bien ! Et voilà, bien des années après, Molière sert surtout à caler ta tête contre la reliure en cuir noir, rouge et doré de ses œuvres complètes. Depuis, on t’a seriné que t’étais classique, classique, classique… Peter, lui, est devenu un archiviste reconnu, Mats un comédien de doublage renommé. Continuer à chercher à partir de l’école, ça mène dans les poubelles. T’as essayé de poursuivre les aventures du Bourgeois gentilhomme, donner un coup de main à Molière, quoi ! T’as cru que c’était possible, c’est ça la foi ! Et puis il t’a fallu découvrir que les éditeurs ne sont que de sales épiciers. Pas comme ta grand-mère, elle c’était une épicière propre. Elle savait mettre le doigt où il fallait sur la balance pour arrondir le compte et sauver la comptabilité de l’épicerie. Mais elle au moins elle laissait tout le village raconter qu’elle faisait ça, elle n’est jamais montée sur ses grands chevaux d’éditeur ! D’ailleurs, elle n’était qu’épicière… A l’époque de la quatrième, j’ai cru que les livres ne se vendraient jamais dans les supermarchés. J’ai cru que l’école, c’était quelque chose ! Et j’ai foncé dans toujours plus d’école ! En trois mois je l’ai lu en entier, le gros volume à tranche noire, rouge et dorée. A chaque fin de pièce, j’en discutais avec Molière, on se taillait de ces bavettes ! Arrête de te cogner le front contre le livre, ça ne sert à rien de se mettre en colère… J’aurais peut-être mieux fait de faire comme Mats et Peter, rentrer dans des milieux… commencer très tôt à faire du rock ou du théâtre laïque mais pour moi, l’école suffisait, elle était immense, elle était enthousiasmante ! Pour moi, elle était le vrai, je ne pensais pas à découvrir un autre monde, c’est ça la foi ! J’écrivais, j’écrivais, sur de vieux cahiers d’écolier, jamais je n’aurais pu imaginer qu’ils iraient tous un jour ou l’autre dans les poubelles des éditeurs épiciers. C’est le moment, beaucoup plus tard, où Mats et Peter ont commencé à s’intéresser à ce que je faisais qui aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Ils m’amenaient sur un plateau les jugements d’épiciers : je n’étais pas assez grand public, ça faisait trop scolaire, je ne risquais pas de faire vendre assez. Ils auraient aussi bien pu me dire : va-t-en voir du côté de Molière si j’y suis… Mais non, un épicier, d’aujourd’hui c’est plus policé que ma grand-mère épicière de village. Ça se rengorge quand on casse les vitrines mais ça ne s’intéresse vraiment qu’à ceux qui n’ont jamais tutoyé Molière à l’école. Aux gens comme moi -mais dans le fond, je ne sais pas s’il y en a d’autres- il reste la littérature des poubelles. Pas celle qui parle de ce qu’on trouve dans les poubelles, celle qui s’y retrouve parce qu’elle pue l’école.