Une montagne au bout du monde. Une montagne couverte de landes, de forêts, de sources et de rochers. Dans ce désert, quelques maisons en granit, un hameau de 40 habitants perdu au milieu de ce paysage. C’est l’été, le soleil chauffe, pèse, plombe les champs alentours. Des reflets argentés, nouveaux, étranges, des toits de voitures, rassemblés, alignés, parqués dans un pré, une masse de voitures, cent, deux cents véhicules dans cette montagne, brillants au soleil. Etrange, inhabituel rassemblement. Dans les rues du hameau, une foule joyeuse se masse, se bouscule, trace un chemin incertain, trois rues se croisent, se recroisent, se remplissent d’odeurs, de musique, de rires. Entraînées par la foule, deux familles nombreuses font bloc, dépêchez-vous, le spectacle va commencer, le père en bermuda arc-en-ciel, tee-shirt blanc, chapeau de gardian, sac à dos vissé sur les épaules, les quatre garçons, tous pareils, tignasse blonde sous le bob blanc tout neuf, short rouge, tee-shirt bleu, tongs aux pieds, l’uniforme du parfait vacancier, la mère en jupe fleurie courant à côté, maman poule déployant des ailes imaginaires pour ne pas perdre ses enfants dans cette foule, juste derrière les cousins cousines, les filles en nattes au chapeau de paille, petite robe d’été par-dessus le short rouge, tongs aussi, les pieds salis par le sable des chemins, on est en vacances, père et mère enlacés, main dans la main, c’est la fête, les flonflons de l’orchestre arrivent jusqu’ici, la musique trad accordéon, vielle et cabrette se déploie au carrefour, ça fait danser ceux qui en ont envie, longues jupes qui s’envolent ou jean de vacancier, tu ne sais pas danser, tu apprends tout de suite là sur place, on t’explique, amuse-toi, les jeunes s’y mettent en riant, battant des main et des pieds, bourrée, gigue ou mazurka, c’est les vacances, c’est la montagne, ils dansent et puis ils ont soif et faim, regarde, il y a une table entre les piliers du portail de grange, là, une femme toute ébouriffée par la chaleur, la sueur, s’occupe d’une friteuse géante, l’huile grésille, les pâtes gonflent, qui veut des beignets aux myrtilles, il y a la queue, tout le monde en veut, elle s’affaire, ça roule, elle appelle à l’aide pour encaisser, une fille s’arrête de danser pour ramasser les sous, rendre la monnaie, donner des serviettes en papier, rajouter des gobelets pleins de soda ou de sirop de myrtille, plus loin dans la rue, dans un coin abrité, un cuisinier tablier blanc, toque blanche, fait des crêpes, là aussi, c’est la queue, de l’attente, les gens discutent, vous avez vu le clown là-bas dans le pré, super ! Un clown habillé criard, perruque de boucles blanches, bouche désespérément rouge, chaussures de géant qui le font trébucher en permanence, autour de lui un grand cercle, comme une arène, les petits assis devant, les grands debout derrière, comme ça, tout le monde peut voir, rire à pleurer, encourager, applaudir, après il y a jonglage, balles, diabolos, assiettes, le jongleur n’en perd pas une, trop adroit, il fait comment, de jeunes garçons viennent lui demander le mode d’emploi, il y aura de la magie aussi et puis du trapèze, un tout petit village et tant de plaisirs, et les crêpes sont prêtes, sucre ou confiture de myrtilles, et puis aussi des myrtilles avec du sucre ou de la Chantilly, grands ou petits, tout le monde y goûte, la bande de jeunes continue dans la rue, bouche violette sous une moustache blanche, ça suffit, l’accordéon, ils cherchent le DJ et sa musique techno, c’est l’autre carrefour, pas loin, tu entends la sono, c’est pour nous ! et ils courent en rigolant, en sautillant, les tongs s’envolent, ils se trémoussent, chantent, les filles surtout, un garçon et une fille en jean et pieds nus se serrent, assis sur le muret tout à côté, s’embrassent, personne ne regarde et puis ça nous est égal, c’est les vacances, se laissent tomber de l’autre côté dans le pré, ça sent bon le foin et les pierres chaudes, le flot passe à côté, se presse, tourne dans l’autre rue qui sort vers le flanc de montagne, une fanfare arrive, les musiciens en ciré jaune et chapeau bleu jouent de la trompette et du cor, du tambour et des fifres, marchent au rythme, dansent sur leur musique, accompagnent des spectateurs jusqu’au tapis vert étendu entre deux maisons, surmonté d’un échafaudage de fortune où un trapéziste s’envole en tours et en saltos, suspense, il va tomber, non, il se rattrape, il est doué, il a mis une combinaison rayée on dirait un zèbre et maintenant il fait le clown en acrobate, la foule s’esclaffe, accompagne, applaudit. C’était bien, maintenant on va aux quilles, sur le pré à côté, un jeune homme chapeau de cowboy, nœud papillon pour rire et marinière rayée bleu et blanc, s’occupe des billets, des paris et explique aux novices comment il faut jouer, tu lances la grosse boule, tu la fais rouler dans le carré de quilles et tu en fais tomber un max, on peut gagner un jambon du pays, ou des confitures de myrtilles. Et ils y vont, les petits nouveaux, la boule en bois bien logée dans la main, tenue avec trois doigts, le bras lancé loin en arrière pour l’élan, et boum, toutes les quilles ne sont pas tombées, mais il ne se débrouille pas si mal. Et puis, ça redonne faim, et ça sent bon les saucisses et les merguez qui grillent sur un barbecue entre deux maisons, ou si tu préfères, tu peux acheter du pélardon sur une tranche de pain fait maison. Et d’un coup tu pleures, tu ne sais pas pourquoi, mais c’est cette montagne d’oignons épluchés qui attendent de cuire pour la soupe à l’oignon du soir, et tu t’y mets aussi pour les aider à avancer, il y aura encore du monde pour le spectacle du soir, Zingaro, ou le cirque Plume, et puis le feu d’artifice à la tombée de la nuit, sous un ciel de velours noir, dans un horizon magique de bout du monde.
J’aime beaucoup ce texte plein de couleurs et de saveurs. Comme ça devait être bien la fête de la myrtille…
Cet endroit désert qui se remplit à ras bord un weekend par an et déborde de réjouissances, profusion de plaisirs et foule joyeuse, c’était un bel évènement dû à l’énergie de quelques bénévoles…!!!! Exploit et grand souvenir!