C’est la deuxième année que je fais un atelier d’écriture avec des élèves de 5ème du Lycée Français de Lisbonne. Pourquoi des 5ème ? Je l’ai expressément demandé à Amandine Froment, professeure de français dans cet établissement, qui m’a très gentiment invitée à travailler avec elle. J’ai pensé que je m’entendrais très bien avec des élèves de onze/douze ans et que je pouvais leur parler comme à des adultes. Cela s’est passé comme prévu.
Atelier 2022/2023
L’atelier s’est déroulé en plusieurs séances, de novembre 2022 à mai de 2023 :
- Une séance de présentation
- Une promenade de trois heures au Parc de Monsanto. Les élèves avaient des consignes qui leur permettraient postérieurement d’élaborer une carte sensible de leur parcours.
En voici deux exemples :
3- Séance d’écriture, d’après la proposition suivante:
LE MONDE SOUS NOS PIEDS
Que se passe-t-il sous les lieux où l’on marche ? Peut-on imaginer une vie secrète où les racines des plantes et des arbres s’entrecroisent avec les fondations des constructions humaines, avec les galeries souterraines creusées par certains animaux ? Et les odeurs, les bruits, la chaleur, le froid, l’humidité, comment sont-ils perçus sous terre ?
A partir des cartes sensibles déjà élaborées et qui rendent compte graphiquement de notre promenade au parc de Monsanto, choisir entre deux à cinq éléments et suivre leur parcours souterrain, leurs rencontres, leur voyage, leur vie, que nous ne pouvons observer, mais que nous pouvons reconstruire, réinventer, grâce à notre imagination.
En ce qui concerne la forme et le genre de notre texte, nous avons entière liberté d’exécution : nous pouvons écrire un récit (fantastique, merveilleux, réaliste), un texte descriptif, un poème ou, bien-sûr, mélanger tous les genres en une seule production.
A nous de choisir, à nous de jouer ! Je souhaite à tous et toutes de belles écritures !
Comme auteur de référence, je leur ai parlé de Gilles Clément et leur ai lu quelques passages de Jardins, Paysages et Génie Naturel.
Voici quelques exemples de débuts de textes :
Très étrange…
Dans la petite plaine de trèfles cachée au milieu du parc, une ombre géante de rongeur à cornes de cerf apparaît. Elle observe, cachée derrière un petit sapin. Est-ce une créature craintive ? Ou bien prépare-t-elle son embuscade ? Le rongeur à cornes sort de sa cachette en sautant ; il pointe ses cornes vers un élève, mais l’élève n’a pas peur. C’est alors que la créature se calme, elle gagne confiance, elle ne le considère plus comme un danger potentiel. L’élève observe du museau jusqu’à la queue l’étrange créature. Il prend son livre sur les créatures mythiques et essaye de l’identifier.
L’arbre à la sucette
Sous la terre, il y a des racines, mais pas que. Chaque arbre a sa propre armée. Celle-ci est composée de fourmis, d’oiseaux, il y a des fourmis-radio, des fourmis-volantes, des oiseaux messagers et des oiseaux bombardiers. Par exemple, ce beau chêne, grand au moins de quinze mètres de haut, majestueux, il a une écorce épaisse et noire qui a mille-et-un détails pour protéger son corps fragile et pour se dissimuler dans la forêt noire, tel un chevalier qui porte une cape rouge au milieu d’une armée de capes noires. Ses feuilles, grandes, en bonne santé, couleur verte, comme un citron vert. Les rayons de soleil dorment au pied de ce grand chêne, qui ne se laisse pas impressionner par les autres arbres et ne se lasse jamais de se contempler lui-même dans l’eau du fleuve qui est juste à côté.
Les Roses Blanches
– Sylvie, dépêche-toi !
Mon monde magique et plein de sucre disparut soudainement, laissant la place aux tunnels froids et austères de la nouvelle fourmilière, installée dans les tuyaux souterrains. Je m´appelle Sylvie, je suis une fourmi, ouvrière pour être plus précise, je suis une fourmi à l’apparence normale et, pourtant, je détonne parmi les autres membres de la colonie des Souterrains. J´ai toujours rêvé de liberté, de voir le monde par mes propres moyens, pas en suivant les chemins gardés par des fourmis soldats en transportant des feuilles.
On dit…
On dit souvent qu´une vie parfaite, ou presque, se passe sur la terre, alors qu’en réalité, la vie parfaite pourrait se passer sous terre. Les Grecs disent aussi que, sous terre, c’est l’enfer. Mais pourquoi la vie parfaite ne se passerait-elle pas sous terre ? Pourquoi le paradis n’est-il pas sous terre ? Moi, je m’appelle Murette, la mûre. J’habitais dans un mûrier, quand soudain je tombai de l’arbuste. Cela fait longtemps que je suis là en train de pourrir comme une vieille mûre. Je souhaite voir le sous-sol pour enfin découvrir un nouveau monde. Le problème, c’est que j’ai des amis. Et mes amis, ils m’aiment. Il est très difficile d’en ressortir apparemment. Mes amis s’appellent Grégoire et Eau de Fontaine.
4. Séance où chacun a recopié son texte sur un fichier Word (pas évident, mais ils s’en sont bien sortis).
5. Séance de lecture collective (qui n’a pas bien marché, car ils ne lisent pas très bien). Je vais devoir changer de stratégie cette année.
6. Séance de discussion en classe sur ce que l’on va faire avec toutes les productions : une exposition ou un livre. Ils ont choisi le livre. Certains ont proposé d’écrire le texte de la quatrième de couverture, d’autres ont voulu produire les illustrations.
7. Tous les éléments rassemblés, j’ai construit le livre et l’ai fait imprimer.
8. Distribution des livres en classe. Je n’oublierai jamais ce moment.
Atelier 2023/2024 :
Je n’en suis qu’à la quatrième séance. J’ai refait le même parcours, à Monsanto, avec les élèves de 5ème de cette année, mais cette fois-ci je leur ai demandé de recueillir des éléments de la forêt qui se trouveraient par terre (sauf des champignons) : feuilles, écorces, glands, mousse, cailloux, entre autres. En classe ils ont créé une composition, une sculpture, un objet nouveau avec ce qu’ils ont rapporté. Exemples:
La proposition de cette année est la suivante :
D’une vie à une autre
Raconter la vie de quelqu’un, c’est se mettre à sa place, imaginer son existence, son caractère, ses joies, ses désirs, les moments heureux ou malheureux qu’il a vécus, les rencontres qu’il a faites, les paysages qu’il a découverts, les événements qui ont ponctué sa vie.
A partir des créations réalisées avec les éléments recueillis pendant notre promenade au parc de Monsanto, nous allons en choisir un (ou même plusieurs, si nous en avons envie) et nous allons décrire son parcours ainsi que les métamorphoses par lesquelles il est passé jusqu’au moment présent. Nous allons écrire son histoire, faire son récit de vie. Comment était-il avant d’être ramassé par nous (triste, maussade, joyeux, insouciant, fatigué de son existence monotone ?), qu’a-t-il ressenti quand il a été emporté loin de chez lui, comment se trouve-t-il au moment présent, quelles rencontres a-t-il faites, est-il satisfait de la place qu’on lui a trouvée dans sa nouvelle existence ?
A nous de décider, à nous de jouer, à nous de raconter ce que seuls nous savons : la vie extraordinaire de ces fragments de nature !
Je souhaite à tous et toutes de bonnes écritures !
Pour la séance d’écriture, on a pris deux heures, car l’année dernière ils n’avaient pas réussi à finir leurs textes en une heure.
Quelle chance d’apprendre à l’école à jouer avec les mots comme tu l’enseignes…. Beau et touchant partage de ton travail Helena
Merci, Géraldine. J’ai découvert que faire cela avec ces élèves est une vraie chance pour moi. Leur enthousiasme m’inspire surtout !
Merci Helena. Quelles chances en effet ils ont ces enfants.
Merci, Ugo ! Comme je le disais à Géraldine, c’est une chance pour moi. Je me laisse contagier par eux.
Helena, ces ateliers sont merveilleux ! Ils donnent vraiment envie de retourner pendant quelques heures en enfance.
Oh, merci, Muriel ! Tu me donnes du courage pour continuer !
la séance de remise du livre a dû être formidable… bravo !! (j’ai récemment indiqué – mais je ne sais plus où, ça n’a pas d’importance) les fiches d’atelier d’écriture réalisées par Lucien Suel qu’il donne sur son site : https://academie23.blogspot.com/
Je ne pense pas que tu aies besoin d’idées pour mener tes ateliers, mais ça peut donner des pistes.
Bonne continuation (et bon courage !!)
Oui, tu ne peux pas imaginer, l’attente anxieuse avant l’ouverture du paquet, le silence, le long silence pendant que chacun examinait son exemplaire, quelques commentaires très émouvants: « C’est mon premier livre, et sans doute le dernier » ou » C’est mon premier livre, mais il y en aura beaucoup d’autres »
Merci de m’avoir fait découvrir Lucien Suel. Ses fiches sont merveilleuses et donnent en effet plein de pistes. Merci encore, Piero !