La première fois, tu leur fait confiance. Le chemin depuis la voiture, tu l’as trouvé un peu trop long. Et quand ils font un pas, toi tu en fait trois. Tu as déjà un peu chaud, Maman ne t’a pas encore enduit de crème contre les coups de soleil. Tu n’aimes pas être tartiné de cette crème blanche, épaisse : quand tu construis ton château, il y a des grains de sable qui se collent sur ta peau et ça te gratte. Ton chapeau rouge avec les cerises blanches te serre sous le menton. Tu n’oses pas l’enlever. Tu es motivé, tu as ton maillot et les brassières, elles sont dégonflées pour tenir dans ton sac à dos et tout à l’heure papa les gonflera.
Tu as attendu ce moment toute l’année. La voiture à peine garée sous les pins, tu as bondi avec le sac contenant maillots, serviettes de bains, crème solaire. Pour accélérer le mouvement, tu prends aussi le parasol, la tente anti-UV pour les enfants et le panier de pique-nique. Les autres n’ont pas récupéré les jouets de plage que tu longes déjà le sentier.
Tu as garé la voiture le plus près possible de la pente douce aménagée dans la dune. Tu ouvres la porte arrière et déplie le fauteuil roulant. Il commence à faire froid, heureusement tu as prévu un plaid pour emmitoufler ton père. L’automne est là, mais le chemin à travers les pins ne change pas hormis l’odeur des pins qui est atténuée. Elle est bien plus odorante sous le soleil de l’été.
Devant toi, une colline de sable. Tes petites jambes partent à l’assaut de la pente. C’est comme quand tu montes les escaliers. Mais pas tout à fait, car les marches d’escalier ne glissent pas sous tes pieds au fur et à mesure que tu montes. Tu ne comprends pas pourquoi c’est si long, tu es fatiguée. Tu veux que Papa te porte, mais il ne veut pas, il a déjà le panier du pique-nique, il dit que tu es assez grand maintenant. Tu commences à pleurer, tu n’aimes plus aller à la plage. Ils continuent à grimper. Tu te retrouves tout seul au milieu de la dune. Maman t’attends en haut. Tu finis à quatre pattes.
Quelques pas et te voilà au pied de la dune. La dune ! A peine un bourrelet de sable planté d’oyat. Comme elle te paraissait gigantesque avant. Ou alors le vent l’a arasée ? Quand tu prends appui sur un pied pour soulever l’autre, il y a toujours ce bref glissement du sable qui te fait légèrement redescendre. C’est une sensation délicieuse, associée pour toujours à la plage. Le trajet est court. A peine le temps de forcer sur les mollets et te voilà au sommet. La famille suit, les petits sont à la traîne. Tu poses tes affaires pour redescendre chercher ton jeune fils qui refuse d’aller plus loin.
Pousser le fauteuil dans la pente demande des efforts. Tu avances lentement. Ce n’est pas gênant, vous avez tout votre temps, le soleil se couche à 19h.
De là-haut, tu vois la mer. Sans attendre, tu cours vers elle. Tes jambes ne moulinent pas assez vite, tu roules-boules un peu vers le bas de la pente. Devant toi, un tapis de sable fin qui glisse entre les doigts de pieds jouxte le sable à pâtés. Puis juste après, l’eau qui grignote la plage en douce, à petits coups de langue salée. Et qui repart tout aussi lentement, délaissant les trésors que tu t’empresse de collecter dans ton seau.
Ton père t’a rejoint, vous faites la course jusqu’en bas en enjambées de géants. La famille s’est agrandie, les serviettes et les parasols délimitent votre espace de sable sec. Avec les enfants vous jouerez aux pirates à l’assaut du tronc d’arbre flotté qui délimite un côté de votre campement. A tour de rôle vous irez vous baigner entre les drapeaux des sauveteurs.
Une fois en haut, tu réalises que tu ne pourras pas descendre jusqu’à la plage. Les marées d’équinoxe ont endommagé la descente. Et le bulldozer municipal n’a pas encore réaménagé le chemin. La déception se coince dans ta gorge. Tu respires lentement pour faire redescendre les larmes qui arrivent. Et vous restez longtemps, là-haut, sans parler.
Tu ne sais pas encore que le chemin du retour est aussi fatiguant que celui de l’aller.
Au retour, la voiture est silencieuse. Les enfants gorgés de soleil s’endorment à l’arrière.
Vous revenez lentement, dans la pénombre tu aides ton père à s’installer dans la voiture. Tu te tais sinon ta voix tremblera. Et soudain tu entends ton père murmurer que quand même c’est très beau un coucher de soleil sur la mer.
Noëlle, ce (s) trajet(s) racontent une vie / des vies, la mémoire intime des lieux, qui parlent, bien plus qu’on ne le croit. Merci.
Merci Isabelle pour ta lecture et ton commentaire.
ça parle tous ces mots… des instants de vie, comme des minis histoires, c’est prometteur. hâte de lire la suite
Merci Dominique pour ta lecture et ton commentaire.