Elle se dit qu’elle part en repérage pour ne pas ressentir au retour la déception d’un voyage pour rien. Elle s’attaque au plus difficile de son parcours sur le 21 : les arrêts de la Duchère, un autre monde sur cette ligne tour à tour villageoise, campagnarde, bourgeoise, industrielle (tertiaire), commerciale, urbaine. Un quartier populaire d’habitations, connu à Lyon pour sa piètre réputation, en pleine rénovation pourtant. Des barres ont été détruites, les façades sont refaites, les espaces verts propres.
Il fait chaud, elle fatigue. Est-ce elle ou le sujet qui s’épuise ? Ce matin, le bus n’est que bruits et cahots. Ça grince, ça crisse, ça couine, ça brinquebale, secoue, ballotte, cahote, sur les ralentisseurs, dans les courbes, tout le temps. Peu d’arrêts demandés, ça va vite. Désagréable.
Des femmes voilées, elle le savait, elle le respecte, mais sollicite tout de même une photo. C’est non, gentiment avec ce mouvement de tête vers le haut qui veut dire non. Après, elle n’ose plus. Mère et fille, sœurs, femme seule, femme avec poussette double et deux petits enfants qui marchent, quatre en tout. Voiles noirs, voiles blancs, voile bicolore (beige et corail, très joli), lâche ou arrangé en turban plus ou moins compliqué, bien serré ou constamment remis en place par sa propriétaire, mère voilée et fille cheveux au vent longs et bouclés, mère vêtue de sombre et de long et fille en jean et baskets, elles ont toutes les deux leur portable à la main, mais ne s’assoient pas l’une à côté de l’autre dans le bus. D’autres femmes, des hommes aussi. Leur point commun : direction la zone commerciale de Champagne (Auchan, Conforama qui liquide) ou la clinique de la sauvegarde. Toutes très habituées à la lecture des panneaux d’information qui indiquent l’heure d’arrivée des prochains bus, à valider leur trajet en présentant leurs sacs sans sortir leur carte. Ces femmes ont des compétences qu’elle n’a pas, des compétences acquises devenues routines. Elle n’en est pas gênée (elle apprend petit à petit), mais leur reconnaît une supériorité.
Monde de gens qui n’ont pas de voiture et qui ne marchent pas. Quand ils/elles demandent au chauffeur s’il dessert tel ou tel arrêt, il précise toujours s’il faudra marcher un peu ou beaucoup. Démarches lentes, encombrées, difficiles, surpoids, maladies, vieillesse, marmaille, respect du rythme de l’autre.
Ce n’est qu’un repérage, elle refera le trajet avec une meilleure connaissance des arrêts à explorer. Trop de soleil de toute façon, lumière trop dure et son appareil photo réglé en automatique (en pensant mieux faire et plus vite) qui gère mal les contrastes.
L’équipe du point chaud de la gare de Vaise lui fait bon accueil après avoir ronchonné sur le droit à l’image. Le cuisinier est là depuis 3 h du matin pour cuire les viennoiseries et préparer les salades. Ils sont jeunes, ils sont gais et amicaux. Le sourire de la matinée. Monde des gens qui se lèvent tôt pour servir les autres.
Je déguste avec joie à chaque texte les petites tranches d’humanité que vous nous offrez … Le bus – ou le tramway – devient sous vos mots un inépuisable réservoir ! Merci pour ce regard
merci à vous.