L’écriture est un poison violent
Dans le jardin des hôtels croissent de vulgaires penstemons
dont l’allure et la couleur décochent la flèche du souvenir :
se lève alors la dangereuse
la pourpre des forêts de l’enfance
La digitale
archipel de corolles
corps de folle
Scrophulariaceae il paraît
(prononcez aé à la fin c’est du latin)
petite bulle scrofule tubercule tubulaire
tubulaire vésiculaire
petit bassin bulle rose un peu huileux
comme le poème petite vésicule petit renflement du réel
- renflement gonflement
du quotidien
Digitale
petite bouche
petite bourse
comme cette autre fleur nommée
sabot de vénus
digitale dite pourpre mais rose fuchsia en réalité
(je crois)
bouche impudique ou vagin
aspiration sexuelle
trompette quand elle est fraîche à peine ouverte
clochette
grappe impudique lorsqu’elle fane
se laisse choir
collection alors de petites bourses violacées qui
quand elles sont mûres
pendent comme gorgées de sang caillé
Digitale car on peut y glisser un doigt
dite Gant de renard
(en anglais foxglove qui a quelque chose qui remplit bien plus la bouche, mouille la langue)
dite Gant de bergère aussi
quelque chose comme un fourreau
– l’encyclopédie se cabre un peu ici
dite queue de loup aussi peut-être car sa tige est souple en son extrémité
Hampe !
la hampe : qu’est ce que c’est ?
la colonne vertébrale? La structure? La rampe de lancement d’une fusée
un feu de fleurs mal orchestré
corolles disposées comme les touches d’un saxophone
– jamais épanouie jusqu’au bout de la hampe
la pointe garde ses fleurs fermées
extrémité pointue tendue pourtant
pointée, pointant quoi
du ciel ?
Digitale
sous le doigt
peau de la fleur lisse épaisse et duveteuse un peu collante
velours sensuel qui dégage son suc à la pression, écrasement
doigté violacé
lourdeur de sein mûr
sous lequel bat le palpitant
danger pour le coeur corazon
cardiaque cardinal
(robe violette ou rouge pour le cardinal je ne sais plus )
Qu’est ce qui tue
en elle ?
y a-t-il un remède ?
un antidote à son poison ?
sait-on les endroits où elle pousse ? Une altitude critique?
à Delphe la Pyhtie mâchait bien du Laurier
mâchait et remâchait
la digitale toxique l’aurait-elle aussi transportée ?
mortelle pour dix feuilles
je pense drôle de tisane pisse mémé
qui t’arrête le coeur
et alors pas d’oracle hein pas de poème
NE PAS TOUCHER
(il n’y a pas de panneau dans la forêt)
la mort en embuscade dans les bois au bord des chemins
L’enfant avait-elle peur de toucher la fleur par inadvertance
– frottement frôlement interdit et fatal –
/ ou peur de ce désir obscur :
faire couler le poison dans le coeur de maman ?
aurait il trouvé un coeur à arrêter ce poison distillé dans la mère ?
la digitale aurait elle aussi fait mourir
le chagrin?
Le poème comme la digitale
au bord du chemin
sorte de rencontre ensorcelée
– il influe sur le rythme cardiaque
petit entraînement cardio
histoire de palpiter un peu plus
de pleurer un peu moins
un poison antipoison
une potion
analgésique
j’écris au bord du chemin
la solitude digitale
j’écris gantée
Foxglove
ongles pourpres
clavier fleur
digitale numérique
Allons cueillir cette pourprée
(prononcez éeu c’est du français)
c’est une fleur de la marge
vous la verrez
charmante carmine
au bord du chemin
en lisière de forêt
dans la clairière
le poème est une clairière du langage
le poème est une fleur de la marge
l’écriture est une fleur de la marge
de la marge et de la marche
de la mâche !
L’écriture est un poison violent contre le poison,
la décoction sans alambic d’un philtre puissant contre le chagrin
Que c’est beau ! Merci
c’est un magnifique poème !
empoisonner maman s’en souvenir