La chasse aux oeufs ne s’ouvre pas uniquement à Pâques. Elle peut s’exercer dans la grande bibliothèque des recettes de cuisine. On trouve ainsi après le simplissime mais délicieux oeuf au plat, l’oeuf au four avant l’oeuf cocotte et l’oeuf coque en attente des mouillettes tout juste grillées. Quand le jaune est à l’honneur, fleuri l’oeuf mimosa mais l’hiver le rend tout entier frileux, le voici en gelée ou alors à la neige. Il en revient affaibli, oeuf mollet, ou grincheux, oeuf brouillé. Il demande de croire à ses mensonges, oeuf gobés ou à sa magie, l’oeuf Aladin qui mollets ou pochés se dresse en turban sur un risotto safrané nappé de sauce tomate relevée de cayenne. Mais il sait se montrer solide en oeuf dur et même courageux, l’oeuf rancheros, servi sur des tortillas, recouvert de sauce tomate épicée. Il minaude parfois en mannequin lorsqu’il s’habille à la mode de Caen savourant son reflet en oeuf miroir. Risquant le tout pour le tout, il voyage en bonne compagnie avec le marquis de Mornay et son frère Charles, traverse les frontières en oeuf à la florentine déposé sur son lit d’épinard ou traverse l’océan en oeuf Bénédict d’origine New Yorkaise sur toast et bacon frit, nappé de sauce hollandaise à ne surtout pas confondre avec l’oeuf Bénédictine, une tartelette avec brandade de morue et oeuf poché nappé de sauce crème.. et de truffes. Bref, l’oeuf ne craint rien même s’il se trouve souvent cassé, voire l’oeil poché, voire près d’une petite mort lorsqu’il se risque en meurette. On peut aussi l’envoyer au diable mais dernièrement, il s’est fait snob. Le voici parfait c’est à dire cuit à basse température, autour de 65°C, tendre et plus onctueux qu’un oeuf dur, plus ferme qu’un oeuf mollet. Le blanc tremblant est soyeux tandis que son jaune affiche un crémeux coulant.
Parfait pour être en bouche: Blanc fuyant sous la langue ou vers le précipice de la gorge sombre, les joues contraintes de suivre brutalement les lèvres jointes, pointées en avant, donnant l’ordre de retenir la fugue visqueuse. Trop tard ! La langue se colle au palais et ne trouve plus trace du fugitif mais du jaune complaisant, bavant encore, cherchant à s’éloigner de la muraille dentaire inutile à sa délicate constitution. Il ne sait pas encore qu’il est déjà sur le point de disparaitre, dissous par l’arrivée silencieuse mais terriblement efficace de la salive aux ordres d’un commandant lointain. L’aventure de l’oeuf a fini dans l’abîme laissant joues, palais et langue tout ahuris.