Un balcon, centre ville pas très large. La chaise est là depuis longtemps. Sur les autres balcons à droite, à gauche des sièges en toile, en formica, plastique ou métal. Mais celle-ci est une chaise rustique, paillée, de forme très ancienne, quatre pieds dont l’un est plus court, à peine : chaque fois qu’il s’assied on entend le petit décalage, tip. Il se lève, tap. Elle appelle le repos. Elle est vivante, chaleureuse, l’assise est en paille, solide par ses pieds; accueillante par son dossier. On dit toujours « asseyez-vous » au facteur qui apporte un colis, « asseyez-vous » au démarcheur, « asseyez-vous » au voisin qui voudrait juste un oeuf, »assieds-toi » au neveu passé en coup de vent, « assieds-toi » et on tourne d’un quart de tour la chaise, elle pivote en signe d’accueil. Elle bouge, elle est animée. Celle du balcon, la carcasse est en bois, de châtaigner ou d’acacia, un bois humble, teinté couleur chêne, elle a comme un vernis, mais non, il y a longtemps qu’il est parti. Le brillant vient du frottement de toutes les mains qui l’ont portée de la cuisine au balcon et retour. Et encore, avant qu’elle soit en ville, elle était dans la petite maison appartenant à la famille depuis l’arrière- arrière-arrière grand-mère : elle a vu senti accueilli toutes les générations. Et quand il a fallu quitter la vieille maison pour la ville, elle a suivi. Elle s’est longtemps sentie déracinée, là-bas, on la laissait sur le trottoir pour l’homme qui en prenait cinq ou épluchait les haricots verts, pour la petite-fille, pour le copain. Là-bas elle avait sa place, ses racines. Le chaisier avait choisi son bois à la scierie et la pailleuse arrivait avec la paille des marais, la meilleure. Dans son élément, elle était, là-bas. Ici, sur le balcon, on a gardé ses habitudes. La chaise a mieux vieilli que l’homme. Son bois marron, patiné par les mains, tient bon. A part le petit défaut du pied avant gauche, peut-être a-t-on voulu la raboter pour compenser le sol irrégulier de la petite maison, peut-être un jour un des six barreaux s’est cassé. En le remplaçant, un maladroit a changé aussi le pied et l’a fait plus court. Pas encore assis, le vieux monsieur s’appuie sur le dossier, du solide dans une vie pas toujours facile, du solide sous la main quand il lui fallait annoncer une mauvaise nouvelle puis il s’assied sur sa chaise, un vrai modèle classique en bois tout simple, teinté couleur chêne. Le barreau, celui de devant a un défaut, en regardant de plus près,on dirait qu’un couteau a creusé un dessin non un prénom, Nina. Une petite fille en vacances a voulu laisser une trace de sa venue pour son papi. Cette chaise unique donne une sensation d’harmonie, un peu instable, paille un peu défraichie, mais jaune-soleil sur le fond gris-blanc du béton et le bleu du volet, on dirait une chaise de Van Gogh moins la tristesse. Le vieil homme qui vient de s’y asseoir ne fait qu’un avec elle, c’est cela la plénitude. Bientôt peut-être elle ne pourra pas rester sur ce balcon, dans les immeubles on lit de plus en plus souvent un mot : »Sur le balcon, ne pas étendre de linge, ne pas laisser des vélos, trottinettes et chaises traîner sous peine d’amande ». Hier, il a laissé son journal sur sa chaise, geste qu’il a eu toute sa vie, c’est la même chaise mais pas le même journal. Mais c’est quand même la même chaise et le même journal. A la place de l’absent, le quotidien. Et cette chaise avec son journal fait résonner la vie du vieux monsieur. Absent, on le voit, là. Le pied un peu bancal nous parle du désarroi de l’homme obligé de quitter sa maison, une coupure dans sa vie, une coupure dans le pied de la chaise.
belle évocation de chaise et de vie.
Merci, Daniele. Vous me faites plaisir.
J’aime beaucoup votre chaise qui s’adapte et accueille, boiteuse et fidèle … Merci Simone Wambeke
merci pour ces mots : Vous m’éclairez sur le sens que prend cette chaise.
Oui ! Je la vois, la chaise, je pense la connaître personnellement, même. Merci pour ce texte.
Juliette, vous me touchez. Merci beaucoup de votre commentaire.
J’apprécie ses enchâssements entre objet et personnage, des correspondances à saisir, pour soi ou pour d’autres en appel aux mémoires communes. Merci pour ce texte.
je suis contente, vous me faites plaisir. « en appel aux mémoires communes », et oui.
Une belle affinité avec la description !
Compliment en clin d’oeil ! merci beaucoup, ça me touche toujours
nos vieilles compagnes (et celle ci est courageuse et résistante d’avoir gardé sa paille en état malgré des intempéries)
En fait, on est comme elles, on est courageuses et résistantes et on garde nos cheveux malgré les intempéries. Merci beaucoup, vous me faites plaisir.