Vous attendez que les parents soient partis pour sortir le cyclomoteur interdit, du garage, cachés des voisins; le Cady grenat à pousser dans la pente, l’un qui pilote, l’autre à cheval sur le porte-bagage métal, les poches de la blouse d’école pleine des pointes de cent. Puis vous filez par le sentier du bois des Rocs, à tout va parmi les genets en sautant tous les deux sur les grandes dalles du calcaire qui affleurent à la peau rêche de la lande, le pneu arrière dégonflé sous le poids, il glisse dans la terre ocre encore mouillée de la nuit. Premier jour des vacances d’octobre, la cabane dans le chêne vert inhabitée depuis la rentrée, il lui faut un toit pour l’hiver, clouer les planches récupérées, les murs tressés de fougères, le sol de rondins sur lequel traîne encore une corde ou un marteau rouillé.
Ton frère est vite grimpé dans la ramée à grands coups de serpe, il ébranche, il taille, il échappe parfois même son outil que tu ramasses alors pour lui tendre du bout des doigts par la lame aiguisée, qu’il saisit, d’un seul coup de dents, puis se lance à nouveau à l’arrache du moindre bras d’arbre, des feuilles qui le gênent. C’est ainsi qu’il dérape sur l’éponge de la mousse et qu’il tombe en embrassant le tronc sur lequel se dressent encore des échardes de bois de la taille d’un doigt dirait-on, parfois c’est un simple pic effilé qui pourtant vient percer ton frère au cou juste sous l’oreille gauche, il porte la main à sa gorge, rouge la main rouge car le sang coule, il s’allonge, il crie, il pleure, il hurle. Tu sors ton mouchoir, un large carré de tissu en coton, vous plaquez ensemble cette compresse de fortune sur la plaie, tu pries. Tu pries ? Comment le fais-tu ? Que lui dis-tu dans ta tête « Faites que ce ne soit pas grave et que le sang s’arrête de couler », enfin, que le bois aiguisé n’ait pas tranché une artère ou quelque chose de vital. Et comme le sang s’épuise sous le tissu rouge, ton frère assis maintenant murmure :
– Va chercher quelqu’un !
Alors tu cours droit devant toi en pensant retrouver le grand chemin, puis la route, puis une maison, les voisins peut-être qui sauront alors pour le Cady interdit, peu importe. Tu dois sauver ton frère. Tu cours vers les maisons dont on aperçoit les toits de tuiles en haut de la colline Chez Vicard, c’est peut-être le plus court au travers de la jachère mangée par les ronces et les aubépines, par les semis des brebis qui viennent par ici, tu rejoins les premiers potagers, les vergers, les massifs de roses et des ondes de gauras. Encore les barrières de haies qui te griffent aux genoux, déchirent une des poches de ta blouse, tes mains rayés par des épines dures d’ébène, tes joues fouettées par les joncs, entièrement tailladé mais du mieux que tu peux, sonner aux portes des arrière-cours. Par des moments clairs, tu distingues désormais le parc de l’un de ces beaux pavillons qui bordent fièrement la grande route à l’entrée de la ville. La pelouse sombre est parfaite, un chien dort sur la terrasse ensoleillée, un vélo là-bas est posé contre une bignone encore fauve. Tu passes entre les lisses en lisière, tu pénètres dans la propriété parce que tu dois sauver ton frère, poussé par le devoir, tiré par la nécessité, tu ne réfléchis pas lorsqu’une voix vient stopper l’intrusion. Un grand noble à la moustache de carnaval se tient à quelques pas de toi, les pieds joints dans un rond de lumière tel un soldat de plomb coulé au garde à vous.
– Eh bien ? Que cherches-tu ici ?
Ah ! Ce Monsieur, tu voudrais l’appeler au secours, expliquer l’accident de ton frère, certes l’erreur de la cabane mais tout de même, comme il pourrait mourir seul dans les bois, tu cherches les mots, tu balbuties un incompréhensible charabia de jeux, de courses, de malheurs. Tu restes muet. Tu es rouge de honte ou de nage, tu souffles comme un âne, tu voudrais repartir, t’échapper, t’enfuir de ce piège alors que l’homme avance d’un pas pour te saisir au bras, tu restes bloqué déguenillé planté sur le tapis de ce gazon d’invention. Tu n’es pas dans ton monde, tu es loin de ton frère de ta famille de ta vie d’avant que tu regrettes ; Oh ! Combien tu regrettes. Mais il faut lui dire pour ton frère alors que tu cherches l’air du gardon harponné dans les herbes.
– Viens avec moi. Nous allons voir si mon jardinier sait qui tu es ?
Louis ! Il appelle… à l’adresse d’un homme penché sur des paniers d’osier à l’horizon de trois larges noyers. « Mon général ? » répond l’autre en se relevant lentement. A cet instant, la voix, l’allure, la casquette d’ouvrier, et toi, tu reconnais ton père.
Te voilà enfin de retour ! Et comment ! (On peut avoir la suite ?)
Bonjour Emmanuelle. Merci pour ton accueil; j’ai plaisir à te relire aussi. Comme j’ai plaisir à tenter un nouveau pas dans l’atelier de François (malgré le bruit autour, qui empêche). Je ferai du mieux possible. Quant à la suite, j’attends les consignes !? Nous verrons.