1.
C’est d’abord la lumière. Sa fonction première. Son heure de gloire rencontre la nuit, partage l’obscur. Cire muette. Mais tant de mots entendus, de phrases murmurées. Conciliabules. Soliloques. C’est ça, les loques à venir. Celles de la cire qui fond. Blanche, en l’occurrence. Être de mèche avec la flamme et éteindre la peur. Je brûle de vous revoir demain.
2.
C’est d’abord la lumière. Sa fonction première. Première ? N’est-ce pas la chaleur ? C’est une flamme, tout de même. Une flamme ? C’est un peu court. Un feu. Le feu d’un regard. Hypnose. Contemplation & méditation. Elle bouge à peine, mine de rien, discrète. Et nous regardons, malgré nous, malgré tout. Se forment en nous un fondu de mots, coulent les phrases. C’est dans cette nuit éblouissante que nous puisons nos jours, que se font jour d’autres jours auxquels nous rêvons. Nous rêvons au départ d’une simple bougie. Rime avec magie. La cire muette a tant à nous dire. Sur nous. Sur tout. Sur nous, surtout. Il faudra parler de l’allumette aussi. Demain. Je sens que je vais craquer.
3.
C’est d’abord. C’est d’abord trouver les mots. Ce soir, abonnés absents. Résistance. Convulsions. Le magma des lettres ne se concrétise pas, comme est concrétisée la cire blanche. L’œil scrute. Un écho au néant. Il y a des vides qui emplissent. Et si cette bougie était un grand vide ? Éteinte. Vide de lumière. Vide de chaleur. Muette complice. Aucune envie de se mettre à table. Le pilote automatique fait le reste. On pourrait les aligner, les grelots des mots. Ils tintent faux mais ils brillent de cuivre. On parlerait de cire. Blanche, oui, déjà dit. La cire et la mèche. L’une ne va pas sans l’autre, sinon il y a absence de bougie. Tiens, oui, c’est ça : ce soir, il y a absence de bougie. Présence fabulée. La table, oui, elle est posée dessus. Le mur, oui, elle s’en détache. Mais pas là. En tout cas, pas là dans le verbe. Le verbe est néant. Il tourne en rond comme un vent fou. Cette bougie a pourtant tellement à dire. Elle en crierait. Une allumette serait la clé. On dirait que l’allumette est la clé et qu’elle est sous le paillasson. Alors, on prendrait la clé et on la tournerait dans la serrure et les mots, alors, les mots jailliraient. C’est exagéré. Ils couleraient. Ils coulent, les mots. Non, ce sont les phrases qui coulent. Les mots fondent. Fondus mais enchaînés. Ils s’enchaînent. Oui, à la chaîne, industrieux, les mots. « Machine sourde et tempête ». Et pendant ce temps, elle est là, la bougie. Elle n’a pas encore éclairé. Ou si peu. Quasi vierge. Une petite histoire avec une allumette. Un feu de paille. Deux fois rien. C’est toujours mieux que rien. Allez, de ce rien, on fera un banquet.
4.
Au fond, c’est une histoire de chaleur. Dans tous les sens du terme. On se brûle les doigts. On se brûle les yeux. On brûle les étapes parce que trop de hâte. Brûler la chandelle par les deux bouts, ça te dit quelque chose ? Je suis là, à observer cette bougie, et tout ce que j’ai, ce sont des images de nuit, d’ombres, comme une fin qui s’annonce. Alors qu’on n’en est qu’au début, finalement. On commence à observer et tout de suite, surgissent les images, les lieux communs. Difficile d’en sortir, la spirale est puissante. Nuit, ombres. Si ombres, lumière. Mais ombres tout de même. Ç’aurait pu être glissade ou parpaing, c’est ombre. La bougie est ombre avant d’être lumière. Elle accorde à la lumière une petite part des ténèbres. Et malgré ce déséquilibre, ce penchant vers l’obscur, c’est d’abord la lumière. Puisque c’est sa fonction première. Éclairer. Donner à voir. Dans le silence d’une complicité. L’esprit se pose, le silence se pose, le regard se pose, je prends la pose et fait le constat d’un certain manque. Trouver quoi pour le combler ? Des certitudes ? Matériau difficile, difficilement traitable. Le doute, par contre… Si l’on pouvait m’éclairer. Tiens, une bougie.
5.
Il y avait quelque chose à comprendre. C’était ça, le d’abord. Avant la lumière. Avant les mots. C’était d’abord comprendre. Avant la bougie. Avant moi qui observe la bougie. Avant les mots qui fondent de la bougie en phrases qui coulent, il y avait d’abord ce vide. Rien. Néant. Entre cette bougie et moi, il n’y a rien. J’ai cru d’abord qu’il y avait quelque chose ce lien mais rien néant elle est là depuis deux ans cette bougie deux ans qu’il ne se passe rien néant et je ne pigeais pas pourquoi pas de mots sur cette bougie pourquoi néant et là j’ai compris qu’elle n’avait rien à me dire néant ou si pas rien en tout cas pas grand chose presque néant on en a parlé un peu dans le 1 le 2 le 3 le 4 mais c’est tout le reste c’est néant et moi qui cherchais à combler ce vide je ne faisais qu’accroître le néant d’ailleurs tout ceci est un néant. Un vide à combler. Mais bougie, toi et moi on n’a pas grand chose à se dire, vrai ? On ne se connaît pas. Bonjour je suis bougie bonjour je suis moi, c’est tout. Toi, bougie, tu n’as rien à me raconter de ta vie. Tu n’es pas la bougie qui a vu naître une grande œuvre dans une pénombre vacillante. Tu n’as presque pas été allumée. Un petit feu de paille. Une étincelle lente, c’est tout. Est-ce que tu as été à Panama, bougie ? Est-ce que tu as pris le Transsibérien ? Est-ce que tu as fait un vol de nuit ? Est-ce que tu as mangé des spaghetti alle vongole ? Qu’as-tu vécu ? Moi, j’aurais aimé que tu me parles de Panama, du Transsibérien ou de la recette de vongole de ta grand-mère. Moi, j’aurais aimé que tu me parles de ces horizons que je n’ai pas encore lissés. De ces minutes troquées contre quelques images encore humides. De ces mots d’un chaos fragile. Moi, j’aurais aimé t’entendre balbutier des excuses à un bal raté. Moi, j’aurais aimé te voir crever les nuages pour singer la lune. Mais rien. Néant. Ton silence est insupportable, bougie, parce que c’est le mien. Un silence aveugle. Un aveu de distraction. Je ne vous avais pas vue. Pensez donc, qui m’eût vue ? Et, tu sais, bougie, on en aurait pourtant des choses à se dire. Des chapitres. Des tomes. Mais on va en rester là. Sur ce vide. Sur ce rien. Sur ce néant. Parce qu’en fin de compte, c’est d’abord la lumière. Ta fonction première. Ta rencontre de gloire avec la nuit. Tout le reste n’est que littérature.
Bonjour, j’aime beaucoup, les c’est d’abord c’est d’abord et l’allumette comme une clé sous le paillasson et le dialogue avec cette bougie dont on peut toucher la flamme sans se bruler les doigts…
Merci beaucoup, Jeanne 🙂