Chaque matin, le carnet est ouvert sur la table de la salle à manger. Un carnet quadrillé, le même depuis des années. A droite l’horloge, à gauche le figuier qui occupe toute la surface de la fenêtre. L’ordinateur est là, un fichier ouvert, prêt à prendre le relais lorsque la machine se sera mise en route, machine qui s’amorce à la main et à l’encre bleue. C’est d’abord une lutte contre les pensées intruses qui sont parfois si insistantes qu’elles tirent la tête vers l’arrière et qu’un mouvement brusque est alors nécessaire pour se dégager de leur emprise. Il faut au moins 3 pages dans le carnet pour ouvrir le passage, sortir les encombrants dit-elle. Ces derniers temps, les pages ne parlaient que de cela, de tout ce qui empêche, des obstacles qui sont décourageants, qui semblent insurmontables. Une végétation obstinée qu’il fallait élaguer chaque matin et que l’on retrouvait intacte le lendemain. Le temps manquait, et surtout la disponibilité, et les pages du matin s’étaient retrouvées réduites à cette chronique quotidienne de l’impuissance. Ce matin, j’écris ceci sur la table de la salle à manger, seule avec le tic tac de l’horloge et le bruissement du figuier. Dans ce qui semblait hier si fade, si banal ou si peu digne d’être écrit, des situations, des personnages s’ébauchent. Et l’étonement de voir briller un éclat inconnu dans ce qui était sans surprise. C’est une petite flamme encore fragile qu’il faut veiller à ne pas étouffer, mais quelque chose s’est remis en route. Des images de serpents de couleur taupe qui traversent la page, de troupeau de mots qui avancent tranquillement, de plumes de geai qui attendent d’être découvertes. Il est alors question d’un nouveau prologue qui raconterait comment elle a réussi à échapper à la bête tapie dans la jungle.
Il faut au moins 3 pages dans le carnet pour ouvrir le passage, sortir les encombrants dit-elle…
Et la surprise de voir briller un éclat inconnu dans ce qui était sans surprise. C’est une petite flamme encore fragile qu’il faut veiller à ne pas étouffer, mais quelque chose s’est remis en route.
Rien de plus : je ne voudrais pas étouffer la petite flamme… 🙂
merci beaucoup pour votre lecture et votre bienveillance, c’est très précieux.
Un texte qui me parle entre fragilité, encombrements et cette petite flamme. Il faut une sacrée dose de désir pour écrire. Y compris pour écrire sa résistance, ses empêchements à écrire… Une obstination à la mesure de cette végétation envahissante. Je suis touchée. Merci
merci Françoise, vos mots me touchent beaucoup
« Ce matin, j’écris ceci sur la table de la salle à manger, seule avec le tic tac de l’horloge et le bruissement du figuier. Dans ce qui semblait hier si fade, si banal ou si peu digne d’être écrit, des situations, des personnages s’ébauchent. Et la surprise de voir briller un éclat inconnu dans ce qui était sans surprise. »
La générosité du figuier et de ses fruits à coeur de flamme est une rivale bien inoffensive, elle indique même la possibilité de boutures pour l’écriture à replanter plus loin, plus au large du malaise des « encombrants ». L’horloge est une rivale aussi mais on peut arrêter le tic tac du balancier. La couleur taupe est très belle mêlée aux autres dans le décor, mais pour qui donc sont ces serpents qui grouillent sur votre tête ?
merci pour votre lecture attentive Marie-Thérèse. les serpents sont une réminiscence d’un texte écrit lors d’un précédent atelier (Pousser la langue) dans lequel le marque page de mon cahier devenait un serpent de couleur taupe. mais votre question amène aussi d’autres images.
intéressant, une ouverture qui emmène vers un nouveau paysage, on pourrait presque imaginer qu’alors qu’elle s’obstine à élaguer une végétation imaginaire, une végétation réelle et une nouvelle faune viennent envahir le bureau
Merci infiniment pour ce texte qui donne du courage. Ca vaut le coup ces « trois pages » si on y débusque un « serpent de couleur taupe » et si la « végétation obstinée » finit par devenir « jungle »…