La masse de pierres sombres concentre les regards et bloque les cris dès l’arrêt de l’autocar puisqu’il faut bien arriver, impossible de rester suspendue roulante entre les maisons parmi d’autres gamins encore disjoints entre ceux qui chantent avec les monos chevelus, ceux qui lisent, ceux qui tentent une bravade, un copinage, une devinette et ceux qu’on ne voit même pas. La bâtisse mange le soleil et intimide comme un commencement. Ce sera donc là. Aux pieds de la bâtisse. Elle a nécessairement vécu à l’intérieur du bâtiment, mangé dormi fait sa toilette, mais nul souvenir ne se présente ni d’un dortoir ni de sanitaires ni même d’un réfectoire, la mémoire est restée sur le seuil, trop jeune pour voir dedans. Pire, l’image se confond avec le château du village, les portes du lycée, le premier métro seule et tous ces endroits où il a fallu entrer. Seule tremblotte une bousculade de shorts en éponge, de tee-shirts rayés et de tongs qui claquent dans un vaste escalier de pierre. Uniformes : il y a trois couleurs de shorts, rouge, orange, marron, reprises en séquences variées par les rayures horizontales des tee-shirts si bien qu’à partir des mêmes vêtements il est rare que deux gamins soient habillés de la même façon le même jour, ni le même gamin plusieurs jours de suite. Désuniformisés, donc. La pierre grise oppose son sérieux et son opacité de grande bouche fermée. Visible en revanche à l’écart dans le préfa des monos la chambre de Malek le gentil mono où elle aime aller parce que justement c’est petit, même si c’est un bazar d’affaires violettes et parfumées qui ne va pas du tout avec la bâtisse ni avec les rayures des tee-shirts mais ce n’est pas grave, il y a plusieurs lieux ici, la chambre de Malek, le bord de la piscine, le terrain de tir à l’arc, simplement elle ne sait pas aller d’un lieu à un autre sans repasser par la bâtisse, croise les doigts la main dans la poche de son short pour que personne ne s’en aperçoive. La colo est un endroit plein de vides. Elle ne sait pas si Malek est le plus gentil mais c’est son préféré et elle n’ignore pas qu’avoir un préféré permet de se sentir un peu moins perdue dans la main de la bâtisse. Le nez sur la pierre douce qui entoure la piscine elle s’immerge dans l’observation d’une petite bête, une coccinelle ou peut être un coléoptère ou un bâtisseur qui vaque à ses petites affaires de petite bête, les bruits de la piscine se fondent assourdis dans l’herbe sèche, petite bête qui déambule, à pattes ou à pinces, longue bête ovale donc pas une coccinelle, contempler c’est comme percer un grand trou pudique dans le temps et se coller au rythme de l’insecte noir et rouge sous l’œil de la bâtisse un gendarme, voilà, une coccinelle qui n’en est pas une, c’est un gendarme. A quelques mètres du flanc aveugle, dans la main droite de la bâtisse s’étalent sept cibles prolongées par un bosquet où immanquablement ses flèches vont se perdre, elle a des égratignures sur les mollets et les cuisses mais cela ne la dérange pas, du moins pas autant que de ne jamais atteindre la cible même si elle est la plus petite et que l’arc est trop grand, comme lui dit souvent Malek. Des cibles, on ne voit plus la bastide, on la sent. Hier Sabine a aperçu un serpent mais quand elle a voulu lui montrer il s’était enfui. Sabine était déçue. La cible était toute proche avec ses cercles de couleurs comme des univers étanches percés de petits trous. Jamais dans le mille, jamais dans le noir, jamais dans le cœur . De toutes façons, la bâtisse on s’en fout, l’idée c’est de rester toujours dehors dehors dehors à chercher le commencement dans un monde qui baille un peu partout à force de ne pas avoir de mille. C’est un texte perdu au bord d’une bâtisse oubliée. Juste pas dans le mille.
Un beau pied de nez à l’imposante, à l’incontournable, à l’omniprésente bâtisse, le contrepoint de la fin ! Il laisse aussi l’impression que la fillette ne se laisse pas totalement engloutir par cette ambiance de colo triste. On peut espérer que le séjour n’aura pas duré trop longtemps !
Et bien … je ne m’en souviens plus 🙂 Merci Christiane Manceau de votre commentaire si juste et solidaire, il me fait du bien, vraiment.
Je rejoins le commentaire précédent sur la résistance à l engloutissement potentiel.que l on sent bien… la personnification de la maison..un peu comme chez Zola.. ces bâtisses qui menacent..bravo
Merci Marie-C Delannoy ! J’ai eu du mal à manier cette affaire de personnification, crainte de la lourdeur ou du systématisme (puis je me suis dit qu’au pire, la lourdeur viendrait elle même appuyer la menace … argument fallacieux … histoire de lâcher le texte !).
Oui , parfois il faut lâcher!
Je me suis laissée happer par cette petite fille, courber la tête pour ne pas voir la batisse, sentir le soleil sur le dos, les épaules, entendre au loin les autres, plonger dans ce souvenir-univers… Vouloir en lire d’autres !
CM Le Guellaf votre lecture sensible me comble … Souvenir-univers, oui, il y a sans doute de ça. Merci mille fois
Un texte qui atteint sa cible en plein dans le mille (en plein coeur💛)!
Oh ! Je suis très touchée … comme quoi les flèches écrites ont leur propre destin, même, s’agissant de mon texte, lancées un peu au hasard ! Merci merci Françoise Gérard
D’accord avec tout ce qui précède. Surtout dans le mille. De surcroît, formidable titre. Focus sur la bâtisse illisible. Et son occupante ponctuelle, incarnée, déroulé d’images bien présentes. Court(métrage).
Merci Cat Lesaffre !