Dahlia est une vache, vous l’aurez compris. Les vaches sont des mammifères, c’est-à-dire des animaux à mamelles, vous le savez sans doute aussi. Ce sont des femelles. Le mâle s’appelle le taureau mais les vaches n’en ont pas besoin, elles vivent entre elles, entre femelles, et le taureau se résume à une semence sélectionnée qu’une main intruse vient planter en elles. Nul plaisir dans cette opération. Engrosser la vache, lui fourrer un veau dans le ventre, espérer que ce soit une femelle, une vachette, c’est le mot qu’on emploie, ou une génisse, pas un boc, parce que les mâles sont inutiles sinon pour la reproduction. Les mâles, on les trouve dans des catalogues. Ils ont pour nom Biniam, dont la mère, Sherma Haegar Britney VG-85 (pis 86), a produit 11’600 kg de lait, 4.90 % de graisse et 3.83 % de protéine, ou Dylan, fils de Fernando, champion Simmental 2018 au Marché-concours à Bulle, mais il faut bien admettre que les vaches se contrefoutent du nom de leur père. Parfois, elles sont en chaleur, elles se grimpent les unes sur les autres et on sait que c’est le moment, on enfonce la main, on attend de voir ce que ça donne et la plupart du temps ça donne un veau qu’on sépare de sa mère – il y a aussi des vaches allaitantes qui s’occupent de leurs veaux elles-mêmes et qui sont dangereuses quand on les croise dans les pâturages parce qu’elles les protègent – mais revenons à nos vaches et à nos veaux qu’on enferme dans des iglous, sorte de petits abris de plastique blanc qui de loin ressemblent aux bâtisses des esquimaux, mais revenons à nos vaches, car les veaux ne sont pas tous destinés à devenir des vaches, ce sont seulement les femelles qui deviennent des vaches, comme déjà dit, mais nous ne saurions assez insister sur ce point. Les vaches, une fois adultes, mènent une vie bien réglée. Le matin, vers six ou sept heures, on les trait. Le paysan leur enfonce dans les trayons des caoutchoucs qui aspirent le lait contenu dans le pis. Une fois vidées de leur trop-plein de lait, un lait tout à fait inutile puisque leur veau leur est enlevé, elles peuvent s’adonner à leur activité préférée : manger. Les menus sont assez peu variés : herbe, foin, maïs, aliment et pierre à lécher. Parfois, elles ont a la chance de sortir au parc, où elles peuvent, après avoir mangé, laisser s’opérer en elles le processus qui les occupent le reste du temps : la digestion. En effet, la vache dispose non pas d’un ni de deux ni de trois mais bien de quatre estomacs, la panse, le bonnet, le feuillet et la caillette. Tout d’abord, la nourriture descend directement dans la panse, sans que la vache, qui a une grande langue mais des dents insignifiantes, n’ait pris la peine de mâcher son repas. Le tout est ensuite régurgité et c’est la phase préférée de la vache : elle rumine en regardant passer les trains. Puis la nourriture redescend dans la panse, y fermente pendant deux jours, fait un petit tour par le bonnet qui l’expulse dans le feuillet, qui essore le tout, séparant le sec du mouillé avant de rejeter la partie sèche dans la caillette qui achèvent tranquillement – la vache est un animal tranquille – la digestion avant d’envoyer les restes dans le petit puis dans le gros intestin et de produire de magnifiques beuses. Précisons ici une bonne fois pour toutes que l’on parle, par chez nous, de beuse et non de bouse et que de bottes souillées d’excréments bovins on dit qu’elles sont enbeusalées. Mais revenons à nos vaches. La digestion terminée, les vaches rentrent à l’écurie. Les puristes s’indigneront peut-être : une écurie, affirmeront-ils du haut de leur science lexicale, contient des chevaux, mais c’est dans une étable qu’on attache les vaches. Outre le fait qu’il est désormais interdit d’attacher les vaches, nous répondrons à ces rabat-joie que chez nous on dit écurie et que ce n’est pas à des gens de la ville de venir nous faire la leçon. Nous ne résistons pas, afin de prouver nos dires, devant le plaisir de réciter ce petit chef-d’œuvre poétique que tous les enfants de nos campagnes connaissent par cœur :
Je t’aime à la folie Comme une vache à l’écurie. Je voudrais te serrer contre mon cœur Comme une beuse sous un tracteur.
Une fois les vaches de retour à l’écurie a lieu la seconde traite, parce ce que ce que la digestion n’a pas transformé en beuse est devenu du lait et que les mamelles sont lourdes et qu’on n’a pas de veau qui tète, alors il faut se vider de son lait qui partira dans des camions se transformer en fromage ou en yogourt dans des usines, mais avant de laisser les vaches dormir un peu – ce sont des animaux diurnes, contrairement aux hiboux – il faut évoquer un dernier détail à propos des vaches : leurs cornes. Vous aurez remarqué, si vous avez l’habitude de sillonner nos vertes prairies, qu’on y rencontre de moins en moins de vaches avec des cornes, la plupart de ces bêtes n’arborant plus désormais que des oreilles généralement affublées d’un morceau de plastique jaune sur lequel on peut lire leur nom, à partir duquel on peut déterminer leur âge, étant donné qu’à chaque année correspond une lettre de l’alphabet, ce qui nous permet sans peine de savoir que Dahlia est plus jeune que Carabine qui elle-même a un an de moins que Bégonia. Mais revenons à nous vaches à cornes. Pourquoi ôter à ces animaux ce merveilleux ornement, telle est sans doute la question qui vous turlupine. On voit bien que vous ne vous êtes jamais fait encorner par une vache enragée, car sachez qu’une vache, même si nous l’avons présentée, en forçant le trait, comme un être docile et mollachu, peut parfois s’énerver, et qu’une vache qui s’énerve et qui vous plante ses cornes pointues dans le ventre, ça peut vous être fatal, alors on leur brûle les cornes quand elles ne sont encore que des veaux, mais ça ne leur fait pas mal, elles n’en ont pas besoin, de ces cornes, de toute façon, et au moins on se sent un peu plus en sécurité si jamais elles décident de vous vouloir du mal, parce qu’une vache, il faut savoir que ça peut peser pas loin d’une tonne et que ça a beau être un animal domestique, ça reste imprévisible. Même si Dahlia est une vache particulièrement calme, même si elle a toujours été la préférée du patron, moi, à votre place, je ne lui tournerais pas autour sans prendre quelques précautions, parce qu’il ne faut pas oublier qu’il y a aussi les maladies des vaches et que Dahlia a peut-être des quartiers, des mammites, des panaris ou pire, la tuberculose, la gangrène emphysémateuse, la maladie de la langue bleue, voire l’encéphalopathie spongiforme bovine, plus connue sous le nom de maladie de la vache folle. Des troupeaux entiers ont dû être abattus à cause de la vache folle, parce que des salopards leur donnaient à bouffer des farines animales alors que la vache, avons-nous besoin ici de le rappeler, est un herbivore, ce qui signifie que lui refourguer de la bidoche, c’est aller contre la nature et que la nature, quand on va contre, tôt ou tard, elle se venge. Mais revenons à nos vaches, parce qu’il y a vache et vache, il y a des Holstein et des Red Holstein, des Montbéliardes et des Charolaises, des races à lait et des races à viande, des vaches de combat dans la val d’Hérens, des vaches chevelues dans les Highlands, des bœufs de Kobe massés à la bière, et il y a aussi la vache Milka et la vache qui rit, mais Dahlia on ne saurait pas trop dire de quelle race elle est, c’est une vache noire aux yeux langoureux, une vache bâtarde, une vache qui peut-être n’existe quand dans votre imagination.
Codicile : non loin de la grange que mon embryon de livre explore, il y a une vache nommée Dahlia. Il me fallait donc documenter ceci, sous la forme de quelque chose qui ressemble à un exposé écrit dans "cette langue aux relents d'ici qu'on croit mimée aux écoles primaires" évoquée dans ma sentimenthèque à propos de Charles-Ferdinand Ramuz. J'avais déjà fait le même exercice à propos des moutons dans ma #L5 : https://www.tierslivre.net/ateliers/ancien-monde-nouveaux-mondes/
Je continue à me documenter sur les vaches grâce à vous et c’est un plaisir de vous lire 🙂
Merci Béatrice, cela a aussi été un plaisir de me documenter sur les vaches.
C’est vraiment sympathique, original, et quel humour….
Merci Vincent !!
Merci Françoise, votre commentaire également est vraiment sympathique.
Mais revenons à nos vaches. Une petite musique à clochette, qui ne demande qu’à devenir de plus en plus lancinante, un peu tendre un peu acide : du lait caillé 🙂
Merci Marion. Oui, le côté lancinant de ce « revenons à nos vaches » et les clochettes, dont je ne parle pas (il y a tant à dire sur les vaches qu’on oublie forcément des éléments essentiels).