Le Palais de Justice d’Evreux est un lieu de patrimoine. Il fait partie du circuit de ce qu’il faut voir et dont il faut apprécier la pierre. Y entrer c’est entendre le silence des siècles et les bruits d’aujourd’hui retenus comme tenus en respect face à la grandeur du temps passé. Il n’a pas toujours été ainsi. Le hall d’entrée était jadis la chapelle du séminaire eudiste, construite à la fin du XVIIème siècle. Ce fronton central a été conservé. Si l’on écoute bien le secret des lieux, encore sent-on le poids dans l’air de la liturgie enseignée ici aux futurs prêtres. Très tôt, la foi a laissé place à la justice. En 1791, les lieux deviennent Tribunal, en toute logique d’un certain point de vue, la Justice divine cède à la Justice des hommes, les tables de la loi ont été brisées et avec cette pierre même, en fragments, ont été taillées les marches, trois, à gravir pour pénétrer les lieux, noble maison racontent certaines voix. Après le Tribunal, c’est la Cour d’assises qui s’est installée, en 1818. Faut-il que les crimes se soient multipliés pour qu’à la fin de ce même siècle le palais de Justice gagne ses deux ailes telles qu’elles existent encore aujourd’hui en un alignement de cinq hautes fenêtres de part et d’autres de son cœur, sur deux étages. Tout est symétrie, tout est équilibre, tout est ainsi juste. Même les deux drapeaux de part et d’autres de la grande porte double en bois épais tentent de danser un pas symétrique dans le vent. Seule une caméra de vidéosurveillance ose rompre l’harmonie. Ici, ça sent l’incandescence. Le feu divin, les impies brûlés. La foudre – divine aurait dit les séminaristes d’antan – a frappé le palais. Juin 1911, dévastation, partout les boiseries ont brûlé en flammes immenses. Du bois, il y en a beaucoup, partout ici aujourd’hui. Les bancs où restent de longues heures jurés, prévenus, public, greffiers et tant d’autres. Chaud le bois, rassurant, envoûtant.
Val-de-Reuil est une ville nouvelle inventée dans les années 70. Elle a été étudiée cette ville. Ce qui a fonctionné ou pas, ce qui est inspirant ou pas, ce qui était précurseur ou pas. Des sociologues, des géographes, des urbanistes, des paysagistes se sont penchés sur son berceau, l’ont regardé grandir et devenir adulte bien avant l’âge. Cent-quarante-mille habitants étaient prévus à l’origine. Ils sont autour de quinze-mille, 40 ans plus tard. Mais peu importe. Val-de-Reuil abrite la Cour de la Lance et la Voie Garance. La première se situe quasiment en face de la mairie. Il suffit de traverser la plaine des jeux. Les hivers de neige, les luges de fortune dévalaient la pente depuis l’esplanade de la mairie jusqu’au fond de la plaine. Des dizaines de joues rouges semblaient se relayer tant que le blanc couvrait le vert, tant qu’un petit nuage de vapeur s’échappait des gorges. Parfois les glissages finissaient dans un mélange de neige et de terre boueuse. Et il fallait remonter une dernière fois. L’avenue des Falaises alors et on y est, en levant la tête on voit les fenêtres à l’opposé de La Cour. En contournant les immeubles, on trouve un chemin piétonnier qui entre dans le quartier, sur la droite quelques marches et voilà la cour et ses gravillons rouges, là où tous les enfants des immeubles descendaient jouer en toute sécurité. Voie Garance n’est pas très loin. Cette adresse est venue après. Le plus simple, c’est de revenir à l’Avenue des Falaises, de prendre la Chaussée de Léry, qui passe entre la mairie et l’ancien Collège Pierre Mendès France puis de prendre à gauche sur la route de Louviers. Encore à droite pour enfin être dans la Voie Garance qui passe sous l’immeuble suspendu. Garance ? C’est le nom d’une plante, Rubia tinctorum, vivace de la famille des rubiacées qui fut largement cultivée pour la teinture rouge extraite de ses racines. Elle est également appelée rouge des teinturiers. Il ne faut pas plus de cinq minutes à vélo pour passer de l’une à l’autre. Dans ce quartier, il y a des maisons-appartement, sans jardin mais avec plusieurs grandes terrasses si l’on a la chance d’habiter celles où l’on entre après un escalier en colimaçon.
Elmina est parfois un prénom mais c’est surtout une terre, lointaine, un royaume, une plage, un ciel gris et son océan en-dessous. El mina, la mine, terre gorgée d’or convoité durant des siècles et des siècles. Le Ghana d’abord appelé Côte de l’Or voit ses rives envahies par les normands, les portugais, les néerlandais, les britanniques enfin qui s’emparent des lieux, s’y adonnent à l’exploitation des terres et des corps. Le fort Saint-Georges, construit en 1482, se dresse aujourd’hui encore charriant cette histoire de viles conquêtes, d’esclavage intégral du vivant. Ses pavés sentent encore la mort programmée dans ses sous-sols dont la seule issue n’est autre que les cales négrières. On est mort dans le fort. On pêche au pied du fort, on s’y met à l’ombre jusqu’à l’heure de la bonne marée, on y repeint les pirogues, on répare les filets. On trie le poisson qui file aussitôt au marché plus bas sur la côte à l’Ouest. La Capitale, Accra est à 157 kilomètres, à l’Est en empruntant la Nationale 1.
Nana Kwamena Kweigya Ankomah III est roi. Chef de Bantuma à Elmina. Roi traditionnel, il est courroie de transmission entre les institutions du pays et sa localité. Il anime la vie locale pour le bien commun : écouter les avis, conseiller, contribuer aux décisions, perpétuer aussi les traditions ancestrales, d’avant les vagues colonisatrices, la cour, les tenues, les chansons et les danses, les croyances, toutes encore vivantes. C’est au décès de son vieil oncle Ankomah II que la couronne vient à sa tête et ses épaules. Né en 1928 et décédé en 2011, il avait 29 ans lors de la proclamation de l’indépendance du Ghana. Ses obsèques furent célébrées en face du fort Saint-Georges d’Elmina. Nana Efua Tawiah, Agnès, le prit pour époux à Cape Coast, à 12km à l’Est d’Elmina. Quatorze enfants naîtront de leur union. France, Etats-Unis, Ghana, Allemagne, Côte d’Ivoire, Royaume-Uni sont quelques-unes des terres qu’ils habitent, famille-monde. Jusqu’à ses derniers jours en 2019, des mains d’Agnès, reine-mère, naissait du pain, des brioches au raisin aussi, connus de la maison familiale jusqu’à la voisine Côte d’Ivoire et des bouches de ses enfants et petits-enfants partout dans le monde, héritage parfumé, moelleux où se love et se lovera sa légende jusqu’aux confins du présent.