— Cherche pas, c’est Diaz le responsable. C’est à cause de Diaz, tout ça. L’expédition de la garnison, la guerre civile, le scorbut, la connerie du gouverneur, la folie sadique de Victoriano, les viols et l’assassinat des deux premières femmes, les viols d’Altagracia, Tirza, Rosalia, l’enfer d’Alicia. Rien de ce qui est arrivé n’aurait eu lieu si Diaz, Porfirio Diaz, le Président du Mexique, n’avait pas eu l’idée d’installer une présence militaire sur l’atoll en 1906. C’est la crainte des revendications françaises sur l’atoll qui rend possible la tragédie.
— N’importe quoi ! Alvarez le violeur, Alvarez l’assassin, c’est la faute à Diaz, à Pancho Villa, à Zapata, à la chute des cours du guano ?
— Ce n’est pas ce que je dis. Je veux seulement faire comprendre que toute histoire, aussi petite ou tragique soit-elle, s’inscrit toujours dans l’Histoire, celle avec un grand H. C’est tout.
— Et c’est pour enfoncer ces portes ouvertes que tu veux nous réécrire les oubliés de Clipperton. C’est ça ton livre ? Tu déconnes ?
Si tout récit suppose un narrateur et un auteur, il me semble ici incontournable d’insister sur le fait que le narrateur est un personnage, une invention de l’auteur, un destinateur qui raconte l’histoire. Dans la mesure où ici nous ne sommes pas dans le cas particulier de l’autobiographie, énoncer,penser, mettre au clair, dénoncer, triturer, torturer le rapport narrateur et auteur me semble devoir s’imposer et ce quelles que soient les distances complexes que le narrateur puisse entretenir avec la diégése.
Dans le dialogue précédent, l’un des deux personnages déconne en effet. Tout laisse à penser qu’il s’agit d’un choix délibéré du destinateur-narrateur afin d’orienter le lecteur-destinataire le plus loin possible de son projet, un livre en l’occurrence. Tout se passe comme si l’auteur imposait au narrateur de brouiller les pistes. Difficile de savoir qui, de l’auteur ou du narrateur-destinateur, cherche ainsi à perdre sans répit le destinataire, le lecteur-narrataire. Et ce n’est pas cette aparté extradiégétique (si seulement elle en est une ? ) qui va nous aider à ne pas perdre le fil. La difficulté est encore plus grande si l’on imagine (pourquoi pas ?) que le narrateur, un personnage ne l’oublions pas, en connaît bien plus que l’auteur. La complexité n’en finit plus si l’on comprend enfin que dans la tête de l’auteur germe cette idée séduisante et folle à la fois où au delà du lecteur-narrataire, au delà de celui ou celle qui tient le livre entre ses mains, existe un(e) narrataire unique, exclusif, privilégié : un(e) narrataire pour qui , vers qui, la diégése est écrite comme lieu jaloux d’une conversation privée, un jardin secret de murmures amoureux.
— Mon livre ? Ce n’est pas facile de t’en parler. C’est compliqué. Un peu tordu. C’est trop tôt. Je suis en plein dedans, un peu paumé encore.
— Rien a voir avec le polar que tu avais en chantier ?
— Vraiment rien à voir. Rien à voir non plus avec la tragédie de Clipperton, je te rassure.
Codicille : l’auteur n’est pas toujours responsable du choix du narrateur de ne prêter aucune attention à la description de ces détails les plus minces qui étaient attendus ici.
Ruse. Jeux. Pistes. Fausses pistes. Homonymies. île et autres terres en rives et dérives… Un « livre » qui dérobe et se dérobe
Rives et dérives. C’est bien ça Nathalie. Voire vagues et divagues. Merci Nathalie Holt de votre lecture un peu trop gentille avec ceux qui se dérobent.
je crois que ça va me plaire, même si je n’ai rien à voir avec tout ça !!! 😉
C’est détonnant, abrupt et rebelle comme le Jacques Fataliste de Diderot… j’aime toujours les bifurcations, les méandres, les adresses insolites au lecteur. Hâte de lire la suite !!