Le sol est vivant. Partie vivante de la géosphère. Couche la plus externe de la croûte terrestre. Résulte de la dégradation de la roche mère. S’enrichit de processus organiques. Il y a vie, microbienne, animale, végétale : la croûte se fait sol. Les mécanismes de naissance d’un sol sont dits de pédogenèse. A la pédogenèse s’associe l’action spécifique de l’homme, le mode d’occupation, la gestion du sol. La biodiversité est le fruit de ces deux processus. L’homme est-il partie du sol aussi bien que le champignon ?
Le sol est vivant. Un monde sans sol est un monde mort. Un sol qui se dérobe est une mise à mort. Un exil, une noyade sont une mise à mort. La terre est un vaste oignon. Et le sol est à la surface de cet oignon. Le sol est à la surface de la croûte terrestre, qui est elle-même la dernière couche de la lithosphère. Sous la croûte est le manteau supérieur terrestre. La lithosphère, c’est la croûte et le manteau. C’est ce qui est dur. Sous la lithosphère, c’est mou. Et c’est chaud. Parce que c’est chaud, ça devient mou. On dit ductile. Et on s’enfonce. On s’enfonce encore et c’est la mésosphère. Et c’est encore plus mou. On dit visqueux. Au fond, c’est chaud, c’est mou et visqueux. Il y a au-dessus le sol vivant et tout au fond quelque chose de mou, chaud et visqueux. Si bien que l’on pourrait tout aussi bien imaginer que l’on évolue à la surface d’une pieuvre. Une pieuvre au sang chaud.
La science des sols s’appelle la pédologie.
Le sol est vivant.L’habitat, les routes, les infrastructures grignotent, pignochent, puis bouffent peu à peu les sols, espaces naturels et agricoles. Le sol se dessèche et se rétracte. Ça ne sait plus fonder une ville, ça ne sait pas créer un sol. Routes, noyaux de transport, habitat : ça se décarême franchement. C’est banquet, c’est carnaval.
Le sol est aride. Le sol est pauvre. Le sol a bon dos. Le sol a six dos.
Le sol est constitué d’une fraction solide et d’une fraction plus fluide. Pied qui s’arrête. Pied qui s’enfonce.La fraction liquide est composée d’eau et d’éléments dissous. Pied qui s’enfonce. La fraction minérale est le résultat de l’altération de la roche mère : graviers, cailloux, sables, limons, argile. Le sol crisse sous la dent. Morceaux durs, morceaux mous.
Le sol se mâche. La matière organique est composée d’êtres vivants décomposés et d’êtres vivants vivants. La matière organique était autrefois appelée humus. La matière organique du sol n’a rien à voir avec un plat libanais. Le sol se mâche. La matière du sol est composée de vie et de mort. Ça se côtoie. Ça se chamaille. La matière du sol est composée de vie et de mort. Déjections, exsudats, cadavres. C’est philosophe. C’est bon copain. L’humus porte de beaux noms, selon l’acidité du sol, des noms de dieux vikings : moder, mor, mull, amphi, tangel… La majeure partie de la biomasse est cachée. Les tiges, arbres, et parties visibles n’en représentent qu’une infime proportion.
Un sol atteint son équilibre au bout de cinq-cents à mille ans : le sol est patient.
Un sol peut parfois être lourd, asphyxiant, plastique, notamment les sols argileux. Les sols limoneux sont plus faciles à travailler mais instables. Les sols sableux brûlent la matière organique et s’érodent facilement. La texture du sol tient compte de la taille et de la composition des minéraux qui s’y trouvent. Le sol n’est pas dit gras, poudreux, visqueux, soyeux. Les silicates ou carbonates sont composés d’éléments supérieurs à deux millimètres, ainsi que d’autres éléments inférieurs, les limons, les sables, les argiles. A ces silicates et carbonates s’ajoutent les ions apportés par les infiltrations, la décomposition ou les précipitations, essentiellement des processus en ion, afin de permettre la bonne intégration des ions se trouvant ainsi en terrain connu, terrier connu, terrion connu.
Il n’est pas bon non, il n’est pas bon de rester enterré dans le sable trop longtemps.
Le sol est groggy. L’odeur de la terre fraîchement labourée, ou mouillée après une période sèche, est due au pétrichor et à la géosmine. L’un vient des plantes. L’autre de micro-organismes. Ça pullule, ça sécrète, ça se diffuse. La pluie pénètre dans le sol. L’air, expulsé, se répand. La pluie vous enterre. La pluie vous fait renifler l’atmosphère dans laquelle vit le ver de terre. La pluie vous inverse. L’odeur de la terre en forêt est toute imprégnée des sécrétions des champignons. La pluie vous brouille et vous grise d’un langage souterrain. Le pied s’enfonce dans le sol boueux. La pluie vous inverse. Pied qui s’enfonce. Monde qui s’inverse. Le soleil perce les nuages et la terre sèche.
Le sol est vivant, se gratte, baille et s’étire.
Le sol est le garant de la survie de l’humanité. Le sol est un patrimoine. Le sol est prestataire de services écosystémiques. Le sol vous accueille et vous parle. Et avec ceci ? Ce sera tout. Le sol est debout, tranquille parmi l’odeur de terre mouillée. Ce sera tout. La valeur des services fournis par le sol est estimée entre 125 000 et 145 000 milliards de dollars. Le sol vous accueille et vous parle. Et avec ça ?
La pluie vous inverse. La surface n’existe pas. La surface, n’existera plus jamais. Pied enfoncé dans le sol boueux et le corps qui suit. Et l’air qui doucement revient dans la terre. Et votre corps avec. Le soleil perce les nuages et dessous le soleil, un long ver de terre, précaire, non rémunéré, plane tranquille et victorieux, passe, repasse, s’éloigne et se tortille à l’horizon. Le ver de terre, tranquille, victorieux, rescapé.
En voilà un au moins qui n’est pas un assisté.
Jusqu’à 100 millions de microorganismes vivent dans un gramme de sol, des virus également.
Et avec ça ?
Ce sera tout.