Tu veux que je te raconte une histoire ? Tu aimes les histoires, moi aussi ! Tu viens de Lyon, c’est bien ça ? Alors si tu viens de Lyon tu connais sûrement le sergent Blandan, la caserne du sergent Blandan, la statue du sergent Blandan ! Tous les lyonnais connaissent ! La caserne est désaffectée, on y a fait un parc maintenant. Et tu sais qui était le sergent Blandan ? Non, ça tu ne sais pas. Le descriptif du parc le dit pudiquement « mort au combat », quel combat ? dans quelle guerre ? Plus personne ne s’en souvient. Le sergent Blandan est un héros de la conquête de l’ Algérie. Engagé à 18 ans dans le 26e régiment d’infanterie de ligne, à 22 ans il est nommé sergent, à 22 ans avec ses 22 hommes il tombe dans une embuscade tendue par 300 cavaliers arables, à 22 ans il meurt le 12 avril 1842 à l’hôpital de Boufarik. Déjà blessé et mourant, il encourageait ses hommes à résister jusqu’à la mort « Courage, mes amis ! Défendez-vous jusqu’à la mort ! ». Légion d’honneur à titre posthume, on lui dresse une statue à Boufarik, A l’indépendance elle est déplacée à Nancy, en 1962 la ville de Lyon dont il est originaire trouve suffisamment de souscripteurs pour lui édifier une seconde statue.
Il y a mieux, il y a Boubrit (Beauprêtre pour vous), un autre héros de la conquête, même âge que Blandan quand il s’engage dans le 1er régiment de zouaves (ils sont nés tous les deux en 1819), il fait son chemin dans l’armée, sergent, sergent-major, lieutenant et chevalier de la Légion d’honneur, capitaine, officier de la Légion d’honneur, lieutenant-colonel, colonel, chacun de ses exploits est relaté dans la presse parisienne et salué malgré la sauvagerie que l’on connaît à l’individu coupeur de têtes qu’il conserve dans une besace accrochée à sa selle. Il est tué en 1864, assassiné devant sa tente. Le village où il est tombé est rebaptisé Beauprêtre en son honneur comme de nombreux boulevards et rues de l’Algérie colonisée. Même si l’indépendance a débaptisé les villages, rues et boulevards, c’est un nom qui résonne encore en Algérie et si tu tapes « Beauprêtre » sur Google Maps, tu trouveras toujours ce nom accolé au nouveau nom de la ville. Dans mon enfance les enfants pas sages, on les menaçait de les donner à Boubrit, le coupeur de têtes qui chevauchait un sac d’oreilles en bandoulière, Malika Domrane lui a consacré une chanson. Je te la ferai écouter.
Nous vivons dans le même monde avec des mémoires opposées ou pas de mémoire du tout. Je connais Boubrit et tu ne sais rien de Blandan. C’est ce genre d’histoires que j’aimerais raconter, des histoires toutes simples, mais vraies.