Les filles du coin ne ferment pas les volets pour dormir, parce qu’elles aiment être réveillées par le jour, ne pas traîner au lit, fermer les volets serait s’enfermer un peu plus dans le coin et risquer de louper le jour, la rosée, les premiers oiseaux, avant que les tracteurs ne passent, quand on n’entend que les vaches qui meuglent à la traite. Fermer le volet serait renier le coin, refuser qu’il envahisse la pièce de ses pâles lueurs de coin, parfois même de ses sales odeurs d’épandage de fumier. Ronron modifié Laissez, laissez entrer le fumier…oui ça serait ça la chanson des filles du coin, du coin qui ne voit pas souvent le soleil. Même quand une fille du coin fait l’amour, elle ne ferme pas les volets, tout au plus le rideau. Fermer le volet c’est mourir, on le sait dans le coin, la mort des vieilles filles du coin se signale ainsi. Il n’avait pas fait attention aux volets en arrivant, les ouvrant machinalement sans mesurer ce qu’ils avaient pu être pour elle, sans se demander qui avait pu fermer son monde qu’elle avait si longtemps maintenu ouvert, sans se demander ce qu’elle, la fille du coin, avait pu voir, chaque jour, de sa fenêtre, sans se demander si des amants avaient jeté des pierres au carreau, car la fenêtre était au moins à quatre mètres du sol, sans se demander si parfois, elle avait appelé depuis la fenêtre, appelé qui, on ne sait pas, une autre fille du coin, la mère au travail, l’amoureux disparu, sans se demander si elle avait pu s’accouder sur la petite barrière en fer pour fumer une cigarette, il sait qu’elle avait fumé, sans se demander si elle s’y était penchée pour pleurer en regardant en face la petite colline qui ne lui répondait jamais, même pas en échos, oui, la fenêtre de la chambre dans laquelle il était rentré sans respect, après avoir traversé le petit couloir en râpant les murs avec son sac en bandoulière, il n’avait pas prêté attention à l’étroitesse du passage, ni au bruit des gonds du volet peu habitués à être manipulés. Ses mains d’esthète des grandes villes n’avaient pas pris le temps d’un déroulé respectueux dans la déambulation des lieux, dans le déploiement du volet, dans l’écoute des rouages rouillés. Le lierre avait rejoint la fenêtre comme pour la protéger, ce lierre que les filles du coin laissent pousser sur les façades comme elles laissent pousser leurs poils sur le pubis, le raser ne se faisait pas. Lui, avec sa chemise blanche impeccable, il se faisait même épiler le torse, la virilité ne se comptait plus aux poils, dans son imaginaire stéréotypé d’homme propre. La peau devait se taire, épilée, parfumée, gommée. Comprendre la peau de filles du coin c’était accepter de se glisser dans une peau rugueuse et rouillée comme les gonds des volets auxquels il n’avait pas fait attention.
Ainsi, les volets ne claquent pas
Ça m’a fait penser à ce qu’écrit Pierre Sansot sur la scène de ménage dans Les Gens de peu
Oui les volets ne claquent pas…merci pour cette lecture et je ne connais pas le texte dont tu parles je vais aller voir ça !
Super texte pour l’histoire en gigogne (les) et leur rythme
Merci Louise pour ce commentaire!!
Très belle lecture de ces filles du coin et de l’arrivée de l’homme de la ville. Très touchée par vos mots, images, écritures. J’irai voir vos textes dans les jours qui viennent. Merci pour cette découverte, bon dimanche.
Merci Clarence je suis en retour très touchée par votre attention aux filles du coin…qui est le fil conducteur du projet livre….alors un tel retour est très précieux. Hâte de vous lire aussi…bon dimanche 😄
je découvre avec le plaisir d’aimer (oui, notamment le rythme)
si désolée maintenant que j’ai le temps de lire (enfin un peu davantage, d’avoir autant de mal
Merci Brigitte! A tout à l’heure 😉
« Fermer le volet c’est mourir, on le sait dans le coin, la mort des vieilles filles du coin se signale ainsi » Comme j’aime cette chanson du Coin ces filles du coin
Merci beaucoup Nathalie pour ce retour…les filles du coin sont là trame d un projet plus général alors c est très encourageant…a très vite pour te lire