Le rideau verdâtre de la fenêtre est tiré presque entièrement — Quasi ouvert — Elle aperçoit la place et la fontaine — Pas grand monde par ce matin qui se lève — Ses yeux se fixent sur la fontaine vers le centre de la place — Une vieille fontaine qui a été rénovée au cours des siècles par de nombreux plombiers, maçons, artisans de toutes sortes, sculpteurs sûrement, ferronniers, soudeurs, terrassiers — Elle énumère sans trop y penser — Fixée — Fait une approximative liste — Fixée sur l’un des quatre bas-reliefs du bassin — Celui qu’elle voit le plus précisément — Un dragon — Une salamandre plutôt zigzagant — Sa vitesse immobile — Le petit dragon des rivières d’ici — Quelles rivières à inventer sans connaître — Un ruisseau sans doute — Avec du débit et un gué — Quel débit par ce temps chaud — Des buissons de genêts — Des couleuvres dans les piscines-flaques naturelles du riou — Non — La salamandre que les sculpteurs ont ramenée de leurs vagabondages — Par le gué — Pour la fixer comme dragon de pierre sur le côté de la fontaine — Elle la voit bouger — Un zigzag s’échappe — Des maçons vont le rattraper avant qu’il leur échappe de nouveau — Dans les feuilles sculptées tout autour du dragon animé — Acanthes — Lierre — De la mousse qui recouvre la margelle ébréchée, laissée comme ça, pas réparée en même temps que le reste ou cassée par la suite — Elle ne sait pas — La mousse ne retient pas l’eau — Mais le bassin ne déborde pas de toute façon, il est fabriqué comme ça pour que rien ne déborde — Elle s’absorbe — Elle le sait et se laisse s’absorber consciemment dans sa rêverie qu’elle sait à moitié consciente — Revenir à la fontaine moussue — Et ses coulures d’eau — Elle en voit deux — Des tuyaux horizontaux fichés dans la haute pierre du centre du bassin — Il doit y en avoir quatre — Avec des extrémités en forme de bec — Autant que les côtés avec bas-reliefs du bassin carré — Ça ne coule pas fort — Sûrement comme la rivière des salamandres, des couleuvres, des sculpteurs par ce temps chaud — Trop chaud — Qui tant tarit le débit des eaux — Hier elle a eu chaud — Épouvantablement chaud dans ce train — Tout ce dérangement qui lui a fait mal — Pour arriver — Et se retrouver au bout du compte à fixer la fontaine de la place — Et ses tuyaux de ferraille fichés — Qu’elle fixe d’un regard pourtant flottant — Comme si elle avait encore des penchants pour le sommeil — Il y a d’autres bas-reliefs à découvrir — Il faudrait qu’elle sorte voir — Trop endormie encore — Trop dans un coton de fatigue — Tout à l’heure les quatre tuyaux se seront-ils arrêtés de couler — Non — Elle ne pense pas — Des enfants s’approchent de la fontaine — Elle les a sentis approcher — Elle n’est pas surprise dans sa rêverie — Ils effleurent la surface du bassin — Ça se ride à l’intérieur de son crâne — Ils jouent avec l’eau — En passant — Sourde à leurs rires elle laisse filer — La place qui tout à l’heure dormait commence à bouger — Ne la sort pas pour autant de son doux coma — Suivre les gens qui apparaissent ici et là — Des ombres — Figures en carton tracent des lignes — S’affairent à rien — À relever des rideaux de fer qu’elle n’entend pas — Juste un sentiment de bruit d’articulations de fer — Bientôt elle va ouvrir la fenêtre mais pour le moment reste dans son coton — La fontaine — Elle se souvient qu’elle s’y est abreuvée — L’eau est fraîche — Frisson d’aise qui la traverse — On distingue des oiseaux sur les toits en face — Le patron sort les tables — Les sons s’entrechoquent en silence — Elle ne rêve plus — Sort de sa léthargie — Ouvrir la fenêtre dans l’instant qui suit — Réveillée peu à peu par le réveil progressif de la place
Je trouve très beau, et lis, à rebours comme tu vois – (ou pas)
J’enlèverai ce que je qualifie de micro passage « programmatique » Elle voit elle pense etc.. Ton texte tisse ces choses pour nous dans les eaux du « la voir »,