Un hérisson s’est noyé dans la fontaine, hier, dans la nuit. Hier ou avant hier, je ne sais plus. Le temps toujours me fuit ou plutôt se confond sans cesse en moi, magmatique boule confuse, hérissée d’incohérences, insaisissable matière inerte et molle. La fontaine déborde, l’eau inonde le devant de la maison, une jeune couleuvre en profite pour se baigner entre les herbes. Le cadavre du hérisson empêchait le trop-plein de s’évacuer. Je dois plonger ma main, dégager l’écoulement, déposer le petit cadavre dans le tas de vieilles cendres, loin au fond du jardin.
Cendre est une couleur qu’elle affectionne et qu’elle interroge. Elle, la femme qui me sauve, me guide, à qui le livre à faire est dédié
— le livre n’est pas le but — il n’y a pas de but — seul compte l’accomplissement — le processus — les processus — ils sont pluriels — comme elle est plurielle — Elle — deux ailes — qui m’emportent
Cette femme qui ne sait pas que ses traces éphémères demeurent à jamais dans l’âme de toutes les terres émergées.
Reprenons tout depuis le début: un rivage, des galets, une femme, une tortue. Franchement ? Tu comptes aller loin dans ton livre avec ça ?
— encore une fois, il n’y a pas de but — le livre, on s’en fout — des livres, il y en des tonnes — on peut en prendre un au hasard et piocher dedans les mots que l’on aime ou ceux que l’on déteste — refaire des phrases avec — des phrases autres, inventées, nouvelles — prendre tous les livres comme un seul et unique corpus — un amas de mots disponibles — piocher, creuser, fouiller dedans — pas lire, pas écrire — voler, piller, s’emparer et se défaire à la fois
Hier ou avant hier, je ne sais plus, quand j’ai vu le hérisson noyé et la jeune couleuvre, j’ai rencontré aussi une tortue. Elle faisait son chemin aux pieds des chèvrefeuilles et des jasmins. J’y ai vu comme un signe: la tortue sur la plage de galets où la femme qui me sauve se tient. Un fossile vivant qui donne sens à la confusion des mots.
Ça va pas le faire ! Tortue, signe, traces éphémères, terres émergées, femme sur la plage. Tu ne racontes rien. Tu ne décris rien. Il n’y a rien dans ton livre. Rien. Ton délire ? Le désordre de tes mots en proie au désordre. Des fragments du discours d’un amoureux tordu. Voilà, voilà quoi…
— la trace que laissent sur les galets ses pieds sortant de la mer, je ne veux pas tenter de la décrire. Je ne veux pas la détruire — Il est là mon livre, ma religion du vivre —Et ce livre, il n’est pas là —Il est ailleurs
Merci Ugo, oui les musées sont remplis de livres accrochés, de processus et de recherches. Quand au hérisson, je pense à celui qui passe discrètement dans le jardin à la nuit tombée. Je n’aurais jamais de fontaine, sauf celle des mots, quel lyrisme.
Merci Romain pour la lecture et ton retour. Merci surtout pour tes écritures et recherches. Concernant les hérissons, faut que je remette un fin grillage sur la fontaine pour éviter la chute des maladroits.
On se laisse prendre par ta petite musique.
La petite musique écrit Danièle, oui, et les éclats de voix: brusques ou touchés par la lumière. Le bestiaire.
Merci Daniele Godard-Livet et merci Nathalie Holt de vos retours trop bienveillants. Je ne savais pas qu’il pouvait y avoir une petite musique dans un écrit trop vite. Merci de vos lectures et de vos écritures.