La place est chaude, je me cale dans l’empreinte faite par ton corps, creusant le matelas, ton parfum enivre les draps, je glisse ma main sous ton oreiller, la fraîcheur que j’y trouve contraste avec la tiédeur dans laquelle je baigne, je ne veux pas me lever, je n’ ouvre pas les yeux, je devine la lumière du soleil à travers mes paupières, j’écoute, j’entends le silence, il faut que je profite de ce moment, je peux encore y croire, une fois debout, une fois que je t’aurais cherché dans toutes les pièces, je saurai, alors je retiens ma respiration, j’étire le temps, j’attends que mes muscles s’ankylosent pour bouger mes membres, je m’enfonce le plus possible dans le lit, j’appuie mon corps contre le matelas, hier soir repasse devant mes yeux, les mots sont sortis de moi, je les ai lancer, comme on lance un caillou, sans penser au risque de casse, l’impact je l’ai vu dans ses yeux, je me vois cherchant des mots pour réparer, mais certains mots ont l’effet d’une pierre sur un pare-brise, on aperçoit au début une petite fissure, puis très vite, le verre craquelle, on ne peut plus réparé, on constate les dégâts, en te levant tu m’as regardé, j’ai voulu attrapé ton bras, tu m’as évité, assis seul à table je t’ai vu ranger quelques aliments qui traînaient sur le meuble de cuisine, je ne pouvais plus rien dire, mes sales mots résonnaient encore en toi, je me suis levé, je suis allé dans le bureau, m’occupant d’un rien, différant le plus possible le moment de me coucher, tu étais allongé, mais tu ne dormais pas, je me suis excusé, tu n’as rien dit, ces sales mots, nous le savions tous les deux il venait de l’intérieur de moi, de cette partie qui les pense, qui les malaxe, qui les retient le plus possible, et contre cette vérité, il n’y avait rien à faire, rien à dire, toi aussi tu devais me fuir comme les rats quitte le navire quand il coule, moi, je n’ai cru flotter que le temps où j’étais à tes côtés, j’aurais dû te prévenir, t’alerter, attention, je ne sais pas nager, la vie, ce n’est pas pour moi, je peux faire semblant, je peux même y croire, mais ça ne peut pas durer, au premier coup de vent, je coule, je m’enfonce lentement, je me vois abîmer les autres, ceux qui m’aiment, ceux que j’aime, je vois la déception dans leurs yeux , l’eau rentre de tout part, le malheur on y prend goût, il ne demande aucun effort le malheur, il veut juste qu’on lui ouvre les bras, et une fois qu’il est en place, qu’il se sent bien chez toi, il se développe, il contamine, il empoisonne, il prospère, et tu le laisses faire, tu n’es plus rien, une bouteille plastique perdue sur l’océan. Le calme a duré longtemps, je pensais couler plus vite, quinze ans, on a eu quinze ans d’accalmie, j’étais presque convaincu que ce serait pour l’éternité tous les deux, je nous voyais vieux, côte à côte, j’avais hâte d’y être, parce qu’arrivé là, je n’aurais pu que constater, le bonheur, moi aussi je pouvais le tenir entre mes mains, regarder notre passé, le voir filer entre mes doigts comme du sable, examiner chacun de ces grains de bonheur, passer mes dernières années à les compter, à me les remémorer, j’y ai cru.
Toi, ton soleil, ton rire, c’était presque trop, c’était trop, je n’étais pas prêt, le bonheur il vous éblouit, il vous éclabousse, vous recevez ses gouttes, vous ne pouvez pas les éviter, après il vous a eu. Je ne voulais plus que boire à ta source, te revoir, t’entendre, te regarder, tu aurais pu me demander de te ramener un morceau de soleil, je serais parti me brûler vif. J’avais le sentiment d’avoir gagné quelque chose, que la chance était certainement dans le coup, toi au contraire, tu étais apaisée, comme si enfin tu arrivais à ta destination. Tu ne voulais rien, juste que je sois là. Moi je voulais te donner le monde, espérant te garder, t’apaiser. Toi, tu étais faite pour le bonheur, le malheur, tu l’avais aperçu, mais il ne pouvait pas rester sur toi, il n’avait pas de prise. Le bonheur tu le fabriquais, je t’ai vu faire ta magie. Je t’ai vu transformer une soirée ordinaire en pierre précieuse, je te regardais, je cherchais le truc comme un enfant et je ne comprenais pas et je ne comprends toujours pas. Tu me regardais sans me juger, tu ne juges jamais personne, tout le monde à sa chance avec toi, tout le monde repart à zéro. Je ne sais pas si c’est une confiance aveugle, ou une absence de méfiance, une incapacité à penser le mal. Moi le mal, je m’en méfie toujours, je le redoute, je sais qu’il est en moi, à tes côtés j’arrivai à l’oublier, le pire n’était pas toujours attendu, le meilleur arrivait quelquefois. Il est arrivé dans notre vie, alors tout était à réinventer, mais la magicienne a fait son tour de magie et la vie à continuer à trois. Merci, ce mot j’aurais dû te le dire tous les matins et tous les soirs, quel cadeau, un petit homme. J’ai eu peur la première fois où je l’ai pris dans mes bras, peur de le toucher, peur qu’il me touche, mais la magicienne était là pour nous protéger, les mauvais anges sont restés dans l’ombre. Je vous voyais l’un contre l’autre, corps contre corps, tu le prenais quelquefois dans le bain sur toi. Vous jouez tous les deux, je voyais ton regard sur lui, je n’étais pas jaloux. Il a fallu un peu de temps, j’ai pris ma place. Il a grandi, au début tout était simple, il était le centre du monde, nous étions pour lui dieu et déesse, mais cela ne pouvait pas durer, il est devenu un être pensant, un qui vous compare, qui vous questionne, alors je me suis éloigné un peu, puis beaucoup, tu ne comprenais pas. Il est fort le malheur, il est rancunier, il prend son temps, il a tout son temps. Quand son heure arrive, il vient te pousser, il vient te dire à l’oreille : « Regarde t’es comme ton père, t’es peut-être même pire. » Ces quelques mots qui résonnent dans ta tête tu les chasses facilement, mais c’est trop tard, ils ont fait leur nid, ça prendra des années, mais ils grandiront, ils te laveront le cerveau et un soir après ce coup que tu auras donné, tu hurleras « Oui, je suis comme mon père ».
Codicille: Je pense être complètement à côté de la plaque, le lyrisme?
Je ne sais pas si tu es à côté de la plaque, mais j’ai adoré ton texte, tes mots, cette histoire qui résonne en moi, si fort. J’ai vu et entendu toi, l’autre, vous deux…Le lyrisme me semble également bien présent. Merci et bravo. Clarence
merci beaucoup
ben si le lyrisme… enfin je trouve
En tout cas on rentre tout net dans l’histoire, on est pris, lyrisme ou pas, (surtout la première scène)… et on pourrait même pleurer tant c’est difficile d’être lui dans cette affaire
Le lyrisme, on a tous du mal à savoir ce que c’est exactement. Pour cette proposition, je l’ai compris comme un épanchement des sens, une inflammation même… donc on y est il me semble…
merci pour cette lecture…