… ce matin ce matin qu’elle est venue, c’est tout juste l’été je crois alors c’est l’ivresse rouge, les chants d’oiseaux devenus fous à effacer la nuit ; c’est après l’usure longue de l’obscurité son poing entre mes omoplates, ses serres au bas de mon dos, alors c’est la fatigue brute, sourde, tassée jusque dans tous les recoins du corps alors c’est comme le foin bourré dans les sacs de jute pour l’entraînement des joutes sur le fleuve, les gamins hèlent les barques bariolées filent sous le métronome des rameurs vigoureux, alors s’aplatissent d’un coup au fond de la barque, alors percé à la pointe des lances, c’est comme elle déborderait se répandrait de mes coutures crevées, alors je le sens c’est tout à fait l’été je vois les fragments du jour suspendus dans l’encadrement, alors le banc en ciment rugueux, un peu à côté le pied de l’arbre où s’étalent le soir les tables sous nappe bleu-rose-vichy, les plats de métal et les brocs d’eau sur le chariot, alors la cuillère racle et cogne n’en prenez pas tant laissez pour les autres, s’il en reste ça partira tout à la ferme d’à côté où grossissent les cochons – ceux qui disent que c’est à cause des neuroleptiques, que certains en ont balancé en douce, quand on surveille pas trop – et marre et peur aussi des fois de surveiller – alors celle qui dit j’ai pas choisi de faire flic – celle qui aime ordonner avec assurance le bien des autres, – faut de tout pour faire un monde – alors c’est la lumière presque blanche de poudre étrange son odeur d’encore frais où s’allument les premiers filaments de chaud, alors c’est le parfum brun poussiéreux du désert de café au fond de la boîte métallique, alors celle qui dit faut renouveler c’est toujours les mêmes qui paient et pas souvent ceux qui boivent le plus – c’est la note sur l’évier prière de faire sa vaisselle alors le torchon toujours mouillé – alors j’allume la cigarette pâteuse et âcre – je sors sur le perron en haut des deux marches, alors je descends lourdement m’adosse contre le mur, alors le grillage vert quadrille l’autour me sépare de l’à-côté, alors l’au-dessus d’une fenêtre claque – pas loin l’autre pavillon la chambre des barreaux – alors comme un fanion déchiré encore le cri affaibli de toute la nuit éraillée – cette nuit cette nuit qu’elle est venue au pays des rapporteurs d’histoires – alors pauvres minables petites histoires rétrécies dans les miettes de pauvres petits mots raccourcis – RAS a bien dormi – c’ que j’en sais c’que j’en sais j’étais pas dans son lit ! – alors a tourné la tête à chaque passage – tournée pâle vers la baie vitrée à côté de la porte, alors sur le rebord la pendule compte les mêmes heures mortes – alors je me suis avancé d’un pas sur la pelouse dans le petit parc on dit le petit parc, alors ça serait bien les pieds nus dedans sentir un peu d’humide s’il y a et mâcher une amertume d’herbe fraîche – comme le gant mouillé sur le front de fièvre –, c’est pour différencier du grand parc, seulement avec l’autorisation, et pire encore pour son grand dehors – alors fabriquer les histoires ça serait faire pousser des dedans en emboîtant des anneaux de dehors – c’est carrément la permission en trois exemplaires, un pour le carnet dans le casier d’ici, un pour le garde à l’entrée, l’autre pour conserver (rose-jaune-blanc), alors le casier dessus c’est l’inventaire rectangulaire trois exemplaires pareils des oripeaux de vie : une veste bleue (jean) une jupe (jean), une culotte, une paire de collants, un T-shirt blanc – un paquet de tabac à l’enrouler entre les doigts en entendant une bouche parler, de temps en temps acquiescer d’un hochement, relancer, non ?- j’y crois pas ! un paquet de feuilles à tirer entre deux doigts et coller entre elles, un briquet bic jaune, entreposer dans le casiers cigarettes, coller l’étiquette, non c’est trop tôt, c’est l’équipe du matin qui donnera, vous savez bien ! allez s’il vous plaît fermez la porte – soyez gentil juste une monsieur l’infir… – une chaîne avec la médaille et sa date, un bracelet, un porte-monnaie (12 euros cinquante), une carte d’identité, une carte vitale, pour l’enveloppe marron « à déposer au bureau des entrées », alors tout bien signer des deux noms (dont le vôtre, mais seulement si c’est la coopération possible) pour éviter…, surtout la fois où c’était pas 12,50 mais trois ou quatre cents qu’ils ont trouvé, alors ça a dû drôlement les changer du fouiller dans la poisse des poches ou des sacs, mettre les gants se dire pourvu que rien pour piquer, alors quand même des fois on tombe sur de ces trucs, on se dit (ou ça passe, pas même une idée, c’est après sur le retour quand rentrer, ou d’autres fois au hasard de ce qui survient, va comprendre comment ça tourne,) – c’est quand même quelque chose ou c’est rien de rien la vie des autres, et la sienne ! – alors penser aux grands sacs poubelle noirs où des fois on fourre tout dedans, direct, le linge, les effets, bons ou mauvais – alors bien marquer au stylo sur le sparadrap quand ça a l’air pucé, punaisé, grouillant, griffonner le triangle et son exclamation, mettre de la poudre ou du spray avant de fermer, toute la nuit à se gratter, c’est psychologique, ça contamine et ça ronge, la sienne et celle des autres, et les valises empilées dans le réduit sous l’escalier, celle où il y a sur les rouleaux de papier les plans magnifiques de la ville fortifiée, les dessins des pierres des murailles et des créneaux, les tours les corbeaux sous les corniches, les rues faufilées en myriades minutieuses, avec à côté dessus partout les phrases en écriture précise fourmi, pour dire les noms et comment rentrer et les passages secrets, alors je vous interdis vous m’entendez, je vous interdis avec vos plans délirants vous n’êtes pas avec nous vous m’entendez, alors celui-là je le vois allongé large et pesant sur le lit tout simple et son vieux montant chrome rouillé, la chambre où il fume malgré tout sa pipe de brouillard, je te jure ça déborde partout dans le couloir, des vapeurs d’âme qui flotteraient, je vous interdis vous entendez c’est la loi maintenant dans les établissements publics, alors j’avance encore un pas sur la pelouse passe devant la porte-fenêtre de la salle à manger, c’est vide encore, alors comme des fois je tourne je tourne encore autour de la table – arrête de tourner, tu fatigues viens t’asseoir, c’est impossible à la fin, alors c’est impossible à la toute fin je le vois sous le drap bosselé de sa mort – vous resterez avec nous autant qu’il faudra jamais on vous mettra dehors, plus de cinq plus de dix plus de vingt ans ! – je rentre dans la chambre de lui sous le drap de sa mort à la toute fin, la bosse de la tête le triangle du nez, là le renflement des mains croisées, ici la tente pointue des pieds, d’un coup de frisson le sentir encore bouger – alors celle qui écrit quand je suis entrée vous m’avez posé votre parfum lourd sur le bras c’est comme une empreinte si creusée que je ne peux plus l’effacer – alors j’avance ferme vers vous sur le fil de funambule j’avance doux avec les mots que je choisis de balancier, ni trop bas ni trop haut, des mots précis ajustés de précieuses précautions d’humains des mots de pas à pas pour ne pas nous faire tomber je rentre lentement en moi vers vous je marche grande prudence vers nous pour nous relier – alors vous êtes tout replié cassé en deux sur la chaise je cherche la clé pour vous remonter, alors je vous attendrai chaque jour, là, dans la salle de ceux qui espèrent et renoncent j’aurai ma palette de couleur je vous regarderai en patience et sans bouger, sans parler, je débusquerai et je peindrai les sentiments enfouis de vous et sûrement vous vivrez alors la fumée me brûle un peu les yeux, la gorge, alors derrière dans la pénombre du bureau j’entends déjà les premières voix…
j’aime bien cet « alors » qui vient rythmer le texte, faire glisser le monde d’un de ses éléments à un autre, tu peux tout dire avec ça, tout le monde, toutes les sensations, pensées, impressions, tensions, détentes… ça me donne des envies de créer des tensions du même genre dans mon texte (j’allais écrire « mon fatras »), grand grand plaisir à lire cela, oui ! merci beaucoup !
merci Vincent ! Là je me débats avec la L9 d’où mon retard à te remercier pour ton passage et surtout à me laisser du temps pour aller te lire ainsi que bien d’autres… Mais je rattraperai c’est sûr ! La L9 c’est un sacré fatras pour moi !