Elle sait que cette rencontre ne peut qu’être inoubliable – après tout, elle change de vie et ce n’est pas rien de quitter un pays où on a vécu, travaillé, aimé même s’il n’est pas le sien, un pays qu’on quitte, qu’on fuit parce qu’il est temps, parce qu’il y fait tantôt trop froid tantôt trop chaud, parce qu’il y fait désormais trop seul, parce qu’on le souhaite déjà depuis quelque temps, d’abord sans se l’avouer puis en le disant haut et fort à tous, comme pour s’encourager à remuer, en l’annonçant pour bientôt, en achetant secrètement un premier billet d’avion puis en en changeant la date parce que, non, on n’est pas encore tout à fait prête, en se disant qu’en retournant dans le pays de sa langue maternelle, il va falloir aussi réapprendre à parler, oublier les tournures qui ne serviront plus à rien, se réadapter car tout doit avoir bien changé, cela fait si longtemps, retrouver les rituels oubliés, auront-ils évolué ? – la rencontre inoubliable oui, cette femme au long manteau violet (elle vient d’en découvrir la couleur et se dit que ça lui va bien, à elle dont le chapeau laisse échapper des mèches blondes et dont le regard presque mauve a accroché le sien, contact muet et impérieux) qui surgit devant elle, lui prend la main et l’entraîne sans un mot vers une première ruelle qui contourne une sorte d’étroit manoir à tourelles rondes, un virage et les voilà dans une rue plus passante, malgré l’heure matinale, elles avancent, se frayent un chemin entre les camions de livraison qui encombrent le trottoir, les vélos mal accrochés à des poteaux – peinture écaillée, annonces en partie décollées qui battent au vent (vélo à vendre, chien perdu, Mistigri disparu) -, les trottinettes comme naufragées (fin du voyage ou abandon par ébriété ), elles avancent et elle ne sait pas vraiment où cela va l’entraîner, cette rencontre inoubliable qu’elle a suscitée, souhaitée et qui, pour le moment, la grise, la réchauffe, l’excite, elle suit sans la freiner celle dont elle ignore encore tout et sent déjà que ce qui va advenir sera enchantement, en route vers vie nouvelle, relations neuves, elle est prête, elle le sait.
J’aime ce texte, ce passage entre une décision à prendre, prise, mais qui recule, avance, hésite et cette envolée avec l’inconnue qui l’attrape par la main, l’emmène vers l’inconnu – J’adore, merci beaucoup.
Bon dimanche soir.