C’est la proposition qu’il me fallait. Je bloque encore sur la 6, je me suis battu avec elle après avoir dernièrement usé par fatigue, lassitude, énervement, d’une stratégie qui s’est vite révélée source de conflit interne : tentative de reprise refonte ajout d’anciens textes qui n’ont trouvé place nulle part, laissant immédiatement naître une impression de trahison (sans savoir qui – quoi.) Donc à ce point je laisse provisoirement tomber la 6. Les bouquins saisis sur les étagères ou reçus récemment, sont posés comme des pas japonais aléatoires et discontinus sur le bureau, sur l’imprimante, sur la table de chevet : Faulkner, Kafka – le journal, le recueil de textes « prologue » de l’eau, les X tentatives de Juliette Cortese etc… Tous témoignent de « bouts » de lectures, souvent en lien avec ou autour de précédentes propositions. Tous sont autant de tentatives pour relancer la mécanique d’écriture… La 6 attendra.
Certains commentaires reçus récemment (merci à celles/ceux) m’ont dérouté, et c’est à entendre littéralement… Bousculé, déplacé, délogé. Le doigt tendu vers une autre route… C’est de l’inconnu pur que cette surprise d’être lu – perçu – reçu ailleurs que là où je croyais devoir/pouvoir/savoir écrire. On ne se débarrasse pas comme ça de l’orgueil – c’est un travail « annexe » et fondamental de l’atelier. Qui me laisse à la fois abasourdi et revivifié, une attente renouvelée ? L’appel inouï à une simplicité de lame. (S’affûter – apprendre à parler.) Bien sûr simplicité de l’âme. La masse confuse de ce qui demande à être élagué est impressionnante.
Ce pourrait être un codicille géant – un immense tissu de brèches, un entrelacs de notes fugitives, comme cette collecte de mots, de bouts de phrase à la fin de chacun de mes écrits… Souvent oubliés aussi vite que récoltés. Les conserver et exploiter comment ?
Le sous-titre provisoire est venu récemment : « les jours insolides », avec la demande du pdf ! C’est la survenue d’une remarque (saisissante pour moi) de C. lors d’une discussion dont je n’ai plus aucune autre trace (days are not solid objects) – métissée d’un rappel de l’intranquillité – (cette attraction certaine vers la fabrique de néologismes avec le préfixe privatif in – plus dense que les antonymes officiels,) – nourrie de l’association jour/objet. C’est du même effet que le mot lorsque par miracle il traîne avec lui une épaisseur de la chose désignée, son aura. La plupart du temps je me sens vivre et écrire dans une sorte de brouillard, aussi je m’émerveille parfois de ces percées qui « me sautent à la gorge. » J’aimerais parler/écrire avec la proximité au réel qu’ont parfois les enfants ou les psychotiques. (Le mot comme une voile de la chose…) J’entends encore celui qui a dit en éclatant de rire : depuis que je suis tout petit les pâtes sont toujours froides, et l’autre mon vélo a rétréci pendant les vacances, avec une telle ferveur, une réelle intensité. Oui c’est parfois donné de surcroît dans le labour/labeur d’écrire.
Est-ce que ça pourrait construire une liste de têtes de chapitres associées à l’insolidité… Certains existants par ailleurs : l’impermanence – l’inaperçu – l’intemporel – l’infamilier – l’inachevé ou l’interminé ? etc… voir s’il faut poursuivre… et l’inconvénient formel de mélanger néologismes et mots existants ?)
J’aimerais que le livre, s’il advient, aille à la rencontre de l’insolidité des jours-objets, qu’il propose des traversées – des apparitions – disparitions – des ombres et des éclaircies – une esquisse de l’embarras de nos parts, les soi-disant connues et les inconnues, agissant en sourdine. Parfois les trouées. Une défaite des apparences. C’est de l’inextricable, insaisissable et pourtant vouloir ne pas trop perdre ou s’y perdre ?! Comment ? C’est la forme qui fera tenir debout.
L’arrivée en ambulance : je m’en suis voulu, m’en veux encore, car la scène est peu ouverte « d’emblée ». Elle charrie son poids de catastrophe – elle entraîne tous les protagonistes dans des scénarios assez convenus. Je ne veux surtout pas tomber dans un écrit centré sur des histoires « psychiatriques » et me rends compte à quel point il m’est difficile après toutes ces années d’amener un autre matériau… Plus généralement la confrontation avec toujours le même ressassement de souvenirs, le même réseau d’histoires, me devient de plus en plus frappante et pénible. Je ne veux pas d’un livre dépotoir ni rengaine.
Il est plus facile actuellement de baliser ce que je ne veux pas que d’entrevoir ce que je veux…
C’est aussi le brancard/barque sous la voûte céleste, la rivière pâle du plafond, l’arrivée de l’autre-côté… C’est la solitude immense, radicale de se sentir oublié.e mort/morte parmi les vivants qui ont les clés du vivre. La phrase couperet, inoubliable, « je suis à la morgue c’est ça ? » Cette « glace » qui nous sépare parfois (la vitre sans tain derrière laquelle le monde visible demeure hors de portée –insaisissable) On rejoint le cauchemar d’être enterré vivant… et ses variantes… Prolonger depuis l’en-dessous du monde ou les en-dessous du monde. Je pense à la table en formica d’Emmanuelle, à un texte d’un ancien atelier (le 75 dans le bouquin « on ne pense pas assez aux escaliers » que je viens de retirer de l’étagère, se rajoute aux autres pas…)
Écrivant cela me revient cette image (elle resurgit de façon épisodique, mais là elle avait disparu depuis un certain temps, cf. le ressassement plus haut !) de la bibliothèque collée au mur, au-dessus du divan, dans le « petit salon » de l’enfance. Sur les étagères aux vitres coulissantes, (j’entends encore le bruit de la vitre frottant dans la rainure en contre-plaqué, le choc un peu sourd à l’arrêt en fin de course, contre la mince paroi.) les reliures dorées de la série de livres dans la collection les portes de la vie. Dans ce souvenir plusieurs associations : le rapport au livre, investi « familialement » de l’ordre presque du sacré : le livre ouvre les portes (la collection côtoyait également une Bible, des « beaux livres » reliés) – sacré donc secrètement terrorisant – intouchable dans l’idéalisation, la révélation de mystères conjoints au savoir interdit sur le monde. Le livre en effet n’ouvre pas n’importe quelles portes, entre ses deux reliures s’offrent les portes de la vie !
La vie est une affaire de femme. Ce sentiment d’étrangeté ressenti lors de l’accouchement de C – l’impression d’être au bord d’une histoire comme cramponné à un radeau ou à une main sur un lit d’hôpital. Les femmes savent faire (avec) la vie, et j’apprends comme je peux, en retard sur tout, j’apprends. Quand j’écris c’est des tentatives pour apprendre… (comme reprendre son air en sortant la tête de l’eau.)
Aussi il y avait un volume égaré (lequel ?) venu amputer d’une lettre (laquelle ?) la phrase « Les portes etc… » Je pratiquais un jeu de chamboulement, une dislocation de la phrase en déplaçant les couvertures… Peut-être cette sensation très floue, très vague, très lointaine rencontrée parfois lors de certaines lectures, Tabucchi entre autre, qui accompagne le perdre pied… Comme je perds absolument pied dans toute tentative de généalogie. (Ces noms que j’ai pourtant à disposition ne me parlent pas.)
Je vois bien que je suis aux prises avec la menace que fait peser l’informe (la forme en attente d’être trouvée) entre la dissolution, la dislocation, les figures de l’abandon l’oubli la mort. Je ne voudrais pas non plus m’en tenir là à un « fonds de commerce » tragique qui vaudrait toujours mieux que le rien. Non.
Je n’ai pas sélectionné mon personnage principal. Ça pourrait aussi bien être la fille qui tremblait la ville avec son ghetto-blaster, une apparition martiale, précédée par ses vibrations assourdissantes, a tout fait basculer le temps de son avancée. Est partie. Laissant le monde comme essoré. Exsangue. Ça se chapitrerait d’un mot le monde essoré ? L’inexisté ? Le désexisté ? (et dé-plier le dés-exister ?)
Lecture aléatoire. Même morceau que celui de l’enterrement. Maintenant. Lacrimosa song. Je pense à ces photos qu’on pose sur ou devant les cercueils. Je pense au texte 75 qui pourrait rejoindre ceux-là.
En voyage avec ses morts. On voyage avec ses morts.
Quelque chose se construit déjà avec la carte postale qui s’écrit, l’avancée phrase après phrase du rêve d’un monde à deux, un monde irréel mère-fille inoubliable ; c’est passé je crois dans les rencontres avec celle qui racontait comment elle a failli chavirer s’est dédoublée au bord du tombeau et je voyais une partie d’elle regarder l’autre pour se sauver de tomber tout entière dans le fond. Je ne sais pas encore comment avancer. Trop de présence. Elle me tient. Du mal à « fictionner ».
Comme la #P6… Je pourrais continuer sans fin.
Il y a le monologue où sont venus des alors et ça pourrait continuer dans un ramassis un rassemblement de tout ce qui arrive et participe. Ce qui s’inachève.
Il y a des instants « suspendus » – n’arrivent pas à se mélanger ni noyer dans le fil des jours ordinaires, attestent de l’incompréhensible, de l’excès ou de l’insuffisance des mots, viennent trouer l’être, par-là que la vie se vide ? Reprendre poursuivre la fille sur le seuil de la porte… les seuils de toutes les portes comme l’instant/lieu de basculer.
Me vient l’image de bouts d’histoires qui s’interrompent, se reprennent, s’entrecroisent au fil des chapitres. Aussi bien ruptures – blancs –, que souffles et sutures. Déchirure et épisiotomie.
Merci pour la limpidité de votre texte ! Peut-être donner aux êtres que vous évoquez une chance de continuer, malgré cette insolidité ou même à cause d’elle.
Merci de votre lecture ! tout est « ouvert » bien sûr ! l’insolide est frère de l’inachevé !
C’est tellement puissant ce gouffre de questionnement qu’ouvre l’acte d’écrire… très touchée par votre texte… bonne route
Questionnement infini qui se creuse et s’ouvre au fur et à mesure que « tout » avance – ce qui inclue les lectures des écrits des participant.e.s de l’atelier… Bonne route à vous également !
Il y aurait une longue conversation à avoir parce qu’il a tant ! Pourquoi pas ? À une occasion. En attendant, « J’aimerais parler/écrire avec la proximité au réel qu’ont parfois les enfants ou les psychotiques. (Le mot comme une voile de la chose…) ». Je cherche ça aussi. Mon clown parle comme ça. L’écrire c’est une autre paire de manche, mais je suis aussi sur ce chantier. Et sinon, une idée qui me traverse la tête : un personnage principal, c’est peut-être la ville, un lieu, un vélo.
Merci de m’avoir fait relire mon propre texte en Formica. On dirait que c’est quelqu’un d’autre qui l’a écrit, avec la distance.
on l’a commencée un peu la discussion ! C’est toujours surprenant (au moins souvent !) de relire ses textes et les recevoir venus d’un pays étranger. Les mots – heureusement – nous débordent – et c’est encore plus sensible quand ils font retour à travers les lectrices. eurs. C’est dire combien j’apprécie vos coups de projecteurs !