Au commencement de cette histoire il y a l’eau. L’eau c’est le commencement de tout. Une ville c’est d’abord de l’eau. Alors dans cette histoire il y a de l’eau. Celle d’en bas et celle d’en haut. Celle du bas de la ville (puisque l’eau coule toujours vers le bas). Et celle d’en haut. Des grandes nappes aquifères, des sommets. Pas des montagnes, pas des lacs, non. Mais des vastes plateaux spongieux. Ceux qui (comme de grosses éponges) retiennent l’eau. Puis la laissent ruisseler doucement. En sources et rivières. Et dans cette histoire, tous et toutes tendent l’oreille. Ecoutent le chant. Le chant de l’eau. Car c’est l’eau qui apprend aux animaux et aux humains à parler, à dire. Qui leur apprend tout. Car l’eau est mémoire. Elle contient toutes les histoires. C’est de l’eau que naissent toutes les histoires. Celle-ci comprise.
Cette histoire-ci c’est celle d’un retour. Le retour d’une femme venue d’une île lointaine. Arrivée le matin même en avion, train, bus. Arrivée dans un paysage plié, plein de tunnels et d’églises. Et cette femme, débarquée d’une île pleine de soleil, d’une île au soleil harassant qui brûle les pupilles, une île aux piscines aux fonds si bleus qu’on ne sait plus très bien où est le ciel, cette femme va gravir une rue. Passer un pont et gravir une rue.
Dans cette histoire il y a un mari. Qu’on quitte. Un électricien de mari qui n’a pas su saisir la gravité, la densité d’une question que l’on doit pourtant poser. Il y a une mère, la mère aux 11A+. Une mère arrêtée pour l’éternité dans un été baignant dans un jus de planchers crasseux. Et une grand-mère, qui elle s’enorgueillit d’avoir coiffé la Reine. Il y a aussi une sœur prisonnière d’un nappage de carot cake. Un chauffeur de bus qui s’abîme dans le souvenir d’un sourire. Et il y a un enfant. Dessinant des poèmes sous la pluie.
Et bien sûr dans cette histoire il y des pierres. Des pierres vieilles, si vieilles. Enchâssées dans des façades silencieuses. Encastrées dans des berges tristes. Cimentées à des ponts rouillés. Ou incrustées dans la structure d’anciens entrepôts et filatures occupés lentement à s’effondrer.
Au coeur cette histoire, une ville. Dans cette ville, un noyau de terroristes islamistes préparant un attentat qu’on démantellera in extremis. Dans cette ville, un avocat soupçonné d’avoir aidé à l’évasion de militants d’extrême gauche se retrouvant incarcéré dans la prison dont son propre père était le concierge. Dans cette ville, l’organisation d’un grand congrès anarchiste européen capotant lamentablement, les internationalistes bakouniniens n’arrivant pas à s’accorder avec les anti-autoritaires de la Fédération jurassienne. Dans cette ville, mais ça bien plus tard, alors que de terribles changements climatiques seront en route, des inondations d’une ampleur jamais vue apparavant. Des maisons, rues, voitures englouties. Et des morts. Par dizaines. Dans cette ville, mais là plus tard encore, alors que le capitalisme se sera effondré, que ni trains ni voitures ne circuleront plus depuis longtemps, que même l’autoroute aura été démontée, dans les entrepots de l’ancienne gare de marchandises de la ville, celle-là même qui a réceptionné par centaines, deux siècles plus tôt, les ballots de laine qui ont été à l’origine de la fortune extravagante de certains bourgeois aujourd’hui décédés, un bataillon de bioterroristes et bioradicalistes hyperconnectés installera son QG.