Etrangement, le carnet continue à tracer en moi son sillon. Alors je le suis.
06/08/2021
- Abattement, doutes. Ai pensé ce matin à des greffons de souvenirs d’enfance (les miens), mais qui feraient pièces rapportées, aveu d’impuissance, puisqu’ils ne sont pas directement liés au passé algérien de mon père. Drôle de boule dans le ventre, tant cela (me) remue. Une amicale lecture faite par Line Di Pietro des quelques pages mises en ligne met l’accent sur la fait que la forme retenue pourrait permettre une écriture sur les vides. J’aimerais que cela soit le cas…
- Reçu un message d’un ancien élève, qui s’est engagé deux ans comme sous-marinier. Etonnamment, je cherche des éléments sur le passé de mon père comme sous-marinier. Curieux signe, si c’en est un.
07/08/2021
- Que reste-t-il de ce que je sais ? De ce que je ne sais plus pour l’avoir oublié ? Relativité de tout savoir, filtré par les affects, la mémoire. Mnésique juste ce que l’on peut.
- Idée d’une restitution du flux de conscience de mon père, monologue intérieur forcément troué. Risque d’artifice.
- Matérialité, les realia : paquet de Gauloises pour le soldat. Mon père fumait-il à l’époque ? Sans doute déjà. Pouvoirs de la tabagie : ivresse, nausée, aspiration du monde en dedans de soi, convivialité et partage, anxyolitique, faire disparaittre le vide. Que dit Sartre de cela dans L’Etre et le néant ? Retrouver les pages.
- Recherches sur sites et réseaux sociaux liés à la guerre d’A. : anciens combattants, sites d’anciens militaires nostalgiques, etc. Impression que je m’embarque pour de nombreux mois (années ? ) de recherches.
- Retour sur le § 30 : et si les greffons autobiographiques, par leur éloignement même avec la réalité militaire, disaient précisément que je ne sais pas ?
- En grand dénuement, je reviens, enfin, à Henri Michaux. Je viens de récupérer les livres laissés en dépôt ailleurs ; je relis Poteaux d’angle. Je relis Michaux quand aucun autre écrivain (j’en lis beaucoup) n’est capable de me cravacher comme il le fait – par l’absence totale de complaisance envers lui-même, par l’absolue lucidité du regard qu’il porte sur lui et sur les autres. Je retrouve un être cher, un vieil ami, que j’ai découvert au moment de sa mort en 1984. C’est à un combat sans corps qu’il faut te préparer, tel que tu puisses faire front en tout cas, combat abstrait qui, au contraire des autres, s’apprend par rêverie. (page 9, premières lignes). Et ces lignes apportent une réponse à ce qui maintenant me taraude : écrire sur quelque chose que je n’ai pas connu (la guerre d’A.), sur quelqu’un que je n’ai pas bien connu (mon père), écrire parce que le silence m’étouffe. Voilà de quoi, de qui je pars. « Apprendre par rêverie » me semble finalement l’approche la plus juste.
- Cette nuit d’une insomnie entretenue par des voisins assez bruyants jusqu’à la pluie violente de 5h du matin, j’écoutai un podcast consacré à Marguerite Duras et son rapport à l’alcool. Elle a arrêté trois fois, repris d’autant, s’est désintoxiquée pour se réintoxiquer, jusqu’à la cirrhose, jusqu’à vomir du sang. Cela ne m’émeut pas. Le choix des toxiques que l’on s’administre est une question purement intime, qui peut passer pour égoïste aux yeux de l’entourage qui tient à vous – c’est un autre problème. Elle buvait jour et nuit, du vin, beaucoup de vin, du whisky aussi. A Neaulphe, où elle était seule assez longtemps. Elle n’était pas saoûle, dit-elle. Elle a eu peur, en sortant d’une cure de désintoxication, de ne plus pouvoir écrire. Voilà qui me renvoie à mon usage de ce toxique. Souvenir d’Eric Pessan dans Oter les masques :Je bois, donc, parce que j’aime l’ivresse, le décalage léger d’avec les sensations ordinaires, la sensation faussée d’avoir de belles et neuves idées, la joyeuse et chaude présence de l’alcool en moi (fragment 144). Des toxiques exploratoires (mescaline…). Retour sur le § 34 et la cigarette : les raisons de l’intoxication.
- Avant-bras dévorés d’un interminable eczéma, qui dessine des macules blanches, fait se dresser des indurations persistantes, révèle des tâches rosâtres sous l’effet mécanique des ongles qui lacèrent l’épiderme dans l’odeur légère et douçeâtre de la peau brûlée. Les psychotropes n’y peuvent pas grand-chose. Les toxiques ingérés ont une efficace bien limitée devant le vide béant.
- Si tu es un homme appelé à échouer, n’échoue pas toutefois n’importe comment. (Poteaux d’angle, p. 28)
Merci d’avoir continué votre carnet dont la lecture élucide.
Merci de votre retour Helena !
Merci. Moi aussi (on doit être nombreux) je reviens à Michaux en grand dénuement.
Oui, n’est-ce pas ?
C’est très fort ce que tu écris là. écrire au plus proche de soi et de ses démons est sans doute la meilleure façon d’intéresser et d’être lu. Il faut oser et ne pas rester à la surface, mais creuser comme si ta piste était ce que la guerre d’Algérie de ton père te fait à toi.
Merci de ta lecture Danièle. Oui, je suis entièrement d’accord avec toi. Oser ce combat sans corps, abstrait, quitte à le rêver.