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Extrait #L2 – ce qu’elle ne sait pas: « La petite photo en noir et blanc est pour l’instant toujours au fond du sac à main, lui-même dans la garde-robe de la chambre du premier étage dont la porte n’a pas encore été ouverte. D’ici quelques jours, lorsque la maison aura absorbé complètement la nouvelle venue, la photo du cycliste sortira de l’obscurité du sac et comme toutes les autres photos trouvées dans la maison, elle sera posée sur la table de la salle à manger pour le grand inventaire qui l’a menée jusqu’ici. »
Une femme revient dans la maison de son enfance. Sans que son projet ne soit très explicite (c’est un peu sa marque de fabrique cette faculté de laisser les choses se faire sans les formuler – voir L#6), elle est là pour remplir une mission. Une mission concrète, officielle, d’inventorier cette maison fermée depuis longtemps et une autre, plus profonde, de raconter ce qui doit être raconté.
Je suis venue dans cet atelier avec « en arrière-plan » un projet en cours autour d’un pan de l’histoire familiale que je raconte à travers le contenu d’un sac à main. Il est question d’un secret de famille et de la manière dont le silence qui l’entoure s’est perpétué sur plusieurs générations. Il ne s’agit pas tant de « révéler » un secret que de traquer ses effets.
En suivant l’atelier, j’avais envie de prendre une voie parallèle, plus fictionnelle, dans l’idée de tenter un autre destin à ces traces du passé. Et peut-être pour me distraire face à cette entreprise si difficile en allant vers plus de légèreté. En écrivant ces quelques lignes, et en allant au bout de cet exercice n°7, je réalise que la question de l’écriture, c’est-à-dire de moi en prise avec l’écriture de ce projet, est un des centre de gravité de mon récit.
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Ce qui va être raconté et qui est déjà là :
– la maison, le jardin et son lilas double à l’extérieur, la chambre au premier étage
– la garde-robe dans cette pièce, la découverte de photos et papiers. Comme autant de supports de fictions. De toutes façons, impossible d’échapper à la fiction
– l’ouverture de l’armoire, la découverte du sac mais surtout des photos et notamment celle du cycliste qui sera le fil rouge. Je voudrais que ce soit léger, qu’il y ait de la sérénité, du mystère mais un mystère fécond, dans lequel on a envie de se plonger
– le classement des photos par piles : les mariages, les communions, les pique-nique, les portraits d’inconnu.e.s, la paysages
– ce qu’elle imagine être la vie du petit cycliste, la fiction qu’elle élabore autour de lui
Ce doit encore être écrit :
– je ne sais que faire des autres personnages de L3 : le père, les « deux autres » pour l’instant indifférencié et « le petit ». A priori, je pensais que cette histoire se vivrait en solitaire, les seuls autres personnages étant ceux des photos trouvées. Mais je trouve que la solitude du personnage étouffe le récit. Difficulté « d’inventer » des personnages. Crainte de l’artificialité. Peut-être imaginer que la maison va être vendue, ce qui fait un lien avec les personnages de L3 et « elle »
– J’ai envie de documenter les éléments que je traite (la maison, le passé des parents, l’époque dans laquelle « les faits » s’inscrivent,/…), les placer dans leurs contexte sans forcément de fioritures. La description concrète, sociologique d’un événement, d’un milieu, d’une ville.
– j’ai envie de creuser avec les « hypothèses » d’Anne-James Chaton, que j’avais tellement appréciées dans l’atelier PLL et qui avait apporté à un texte des dimensions insoupçonnées. Intégrer des formes documentaires y compris dans la forme de l’écriture (les listes par exemple)
– pour l’instant je me tiens au « bord » de ce texte. Comme mon personnage, je n’ai encore rien explicité, pas vraiment choisi de direction. Je dois plonger !
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Comment j’écris. D’où j’écris.
J’écris le matin, tôt. C’est à ce moment-là que je lance la machine. Heures précieuses de solitude et de tranquillité. Je commence dans le carnet à plumes (pour les plumes de geai qui y sont fichées). Je poursuis sur l’ordinateur, à plusieurs reprises dans la journée. L’ordinateur reste ouvert. J’interromps mon travail pour des tâches qui me donnent l’impression d’oxygéner l’écriture. J’ai l’impression que souvent « ça » travaille. J’écris à Bruxelles sur la table de la salle à manger ou à la campagne sur la table ronde du salon. J’ai un bureau que je n’arrive pas toujours à occuper, je préfère les lieux de vie. Dans les deux cas, il y a le tic tac de l’horloge que j’entends très précisément. Les horloges font le même bruit partout et de tout temps, connexion directe et immédiate au passé (la petite pièce où j’ai passé des heures dans le silence de l’été à lire, à rêver, à imaginer).
Dans mon bureau, « Be calm » dit Louise Bourgeois sur le mur en face de moi. Un peu plus bas, Colette me regarde de la tranche des deux volumes de la collection Bouquins. Des lettres d’imprimerie forment Waouw et Grrrr à l’envers.
Ton projet me fait penser à deux livres, le récent livre de Camille de Tolédo, Thésée sa vie nouvelle et tout son travail sur « Ecrire la légende » ou comment reconstituer une histoire familiale à partir de photographies et ce qui se joue dans cette volonté même de reconstitution : https://livre.ciclic.fr/labo-de-creation/ecrire-la-legende-par-camille-de-toledo
Peut-être connais-tu ? Sinon peut-être cette série d’interviews te parlera-t-elle.
Bien sûr aussi Sebald, et l’extraordinaire Austerlitz et cette façon qu’il a d’insérer des photographies dans ses textes, et de faire de son travail une oeuvre de dévoilement progressif de secrets oubliés.
Cela me fait penser également au petit livre de Lydia Flem, Comment j’ai vidé la maison de mes parents?
Je ne sais pas si ces références peuvent alimenter ton travail ou au contraire le polluer, je les pose à toutes fins utiles 🙂