J’arrive. Et elle n’arrive pas, mettra un temps fou à arriver. Ils sont là tous à l’attendre dans la voiture pour aller à la messe, ceux qui se réjouissent de ce temps qui mange le sermon, le père qui soupire car lui aime les lectures. On sait que ça va prendre du temps, que l’on peut éteindre le moteur. Déjà l’odeur d’essence qui s’immisce dans le mal du dimanche. J’arrive, une minute. Elle prend le temps qu’il faut, étire cet entre deux qui lui permet de souffler, de se retrouver enfin seule, débarrassée un moment de cette maisonnée bruyante, dérangeante, qui n’entend pas, qui claque les portes, les laissent toujours ouvertes , ne ferment jamais un tiroir ou une porte d’armoire, qui ne lui laisse qu’une intimité dérisoire. Elle s’installe dans la lenteur et le rituel des gestes auquel elle ne déroge pas, elle étire ces moments de passage où elle peut se retrouver, où elle n’est plus à leur service. Encore en combinaison, refait son chignon devant le miroir. Aucune fébrilité dans cette fin de toilette. L’impatience des autres gommée. Les épingles à cheveux sont posées sur le rebord du lavabo, bien rangées, d’un côté les grandes, de l’autre les petites, elles les piquent dans le volume trompeur de son chignon, elle sait donner l’illusion, elle n’oublie pas la spirale de la mèche rebelle qu’elle mouille d’un peu d’eau pour mieux la plaquer. Aussi imperturbable qu’un chat qui fait sa toilette en léchant les creux de ses coussinets. Elle n’accélère pas quand on l’appelle à nouveau dans la cage d’escalier. Elle prend l’un des bâtons de rouge à lèvres, le rose, posés sur la tablette du lavabo. Econome, ne gâche pas, avant le nouveau, elle va épuiser l’ancien à l’aide d’un pinceau, étire la couleur sur ses lèvres, ajoute une touche sur les pommettes qu’elle estompe, avec un crayon allonge ses paupières. La robe, son missel. Elle entrouvre la fenêtre, une abeille est endormie sur le rebord. Un coucou au loin. Un morceau de lumière s’est posée sur le globe contenant le bouquet de mariée de fleur d’oranger. cerclé de noir comme un faire part . Les dames dans leurs cadres la suivent toujours des yeux. J’arrive.
Dormir pour ne pas me dissoudre complétement dans les tiraillements de leurs volontés. Droite comme un gisant, au plus plat sur le lit, jusqu’à disparaitre des coussins, je m’enfonce le dos comme une racine. Trouver le bon alignement pour les mains, sur le ventre, ou paumes ouvertes contre les hanches. J’entends les voix qui me cherchent, je ne réponds pas, je ne réponds plus, ils passent juste à côté, mais ne regardent pas au bon niveau, les pas s’éloignent crier ailleurs, comme dans un jeu de cache cache où l’on a frôlé la découverte. Reste juste le bruit des voitures qui traversent dans un sens puis dans l’autre, la mouche qui gribouille l’espace jusqu’à son impact sur le carreau, l’accalmie, sa reprise insatiable, jusqu’au prochain ploc, ma quête pour apprivoiser le sommeil. J’entends les bruits d’eau, la plomberie de mon ventre, et le piaillement d’un oiseau, le bruissement des arbres. Je suis dans le cosmos de mes paupières closes qui abritent des couleurs solaires. Un nouvel ajustement s’impose pour fuir le parallélogramme lumineux qui me tombe sur la tête. Le peloton de cycliste s’allonge en s’effaçant. À l’ombre qui passe devant la fenêtre, je perçois une arrivée, la balance du réveil et du sommeil, compromise.