Il enlève ses vêtements, les suspend à une branche. Il approche du filet d’eau qui clapote sur les pierres moussues, y dépose un pied puis l’autre. Il se penche, place ses mains en coupelle, les plongent dans le ruisseau puis les portent à son visage. Il observe le mouvement de l’eau qui fait onduler les cailloux et les branches lourdes et tombantes des épicéas qui s’y reflètent. Le ruisseau noir parcouru d’étincelles blanches et argentées fait remonter une odeur d’eau froide dans ses narines. Il observe ses pieds immobiles et l’eau qui les contourne, poursuit sa fuite. Il passe ses mains mouillées sur son torse, sur une cicatrice qui lui barre la poitrine. Il passe son doigt sur cette petite vésicule de chair rose, peut-être une opération, se dit-il, il cherche quel organe pourrait avoir été rafistolé sous cette portion de peau. Ou alors une blessure, un coup de couteau peut-être. Il se souvient s’être battu, il y a longtemps. Il se dit que les souvenirs sont peut-être à rechercher là sur son corps, dans son corps, à l’intérieur. Des terreurs et des joies enfermées sous la peau, l’innervant en silence, une mémoire vive et nerveuse. Il s’assied sur une pierre plate, et ses fesses ressentent la chaleur brûlante de la pierre. Il reconnait toutes les sensations qui le parcourent, rien n’est nouveau, tout est familier, déjà inscrit dans le corps, là depuis toujours. Le frisson sur la peau, le feu du soleil, la caresse du vent. Il ressent, sait la sensation de la peau mouillée qui sèche au soleil. Des sensations qui viennent du fond des âges. La mémoire du corps, peut-être la seule mémoire fiable.
Au milieu de cette foule verte, mutique et affirmée, il se dit que, comme l’arbre, il tait son histoire, mais que ça ne retire rien à son être.
Sa présence est lourde, totale dans ce faux immobile, ce faux tranquille. Ce lieu épais, profus, vibrant dont on ne peut pas s’extraire, qui mobilise, qui convoque et rapatrie. L’observation minutieuse de ce petit recoin de forêt rend les impressions immenses. Ne plus reconnaître le monde, ne plus y être chez soi serait la vraie malédiction.
Ses pensées sont concentrées là, elles ne s’échappent pas. Ici, tout semble à sa place, légitime et indiscutable.Il pressent que le paysage, les arbres en savent long. Qu’il faut peut-être attendre, s’en remettre à eux. À force d’attention, on en apprendrait quelque chose d’essentiel.
On dirait aussi que ça comprend et que ça écoute, ici. Que cet endroit est de son côté.
Intéressant, certains moments sont forts, je suis happée, d’autres moments me distraient de la lecture. Par exemple : « Des sensations qui viennent du fond des âges. La mémoire du corps, peut-être la seule mémoire fiable. » Je trouve ça un peu décalé par rapport à la description si minutieuse, qui précède. Idem, je suis happée par les détails du premier paragraphe, et je me sens moins à l’aise à la lecture du second plus abstrait, comme si tu avais déjà tout dit avant, et que le premier paragraphe se suffisait à lui-même.
Merci beaucoup Marion pour ce retour. J’ai relu et oui, je comprends ce que tu dis, j’ai un peu fait le deuxième paragraphe au marteau 😉