IL – le livre — les phares
Il attend toujours de retrouver son lieu, celui où enfin il sera bien.
Il s’imagine, non il ne s’imagine pas, il est là, seul face à la mer.
Il a décidé de faire la tournée de tous les phares, de tous ceux dont il a découvert l’histoire dans ce livre qu’un jour un inconnu lui a glissé dans les mains lors d’un vide-grenier avec juste ces mots : « Il est pour vous. Faites-en bon usage. »
L’homme avait déjà tourné les talons avant qu’il ne puisse le remercier. Il ne savait même pas à quoi il ressemblait. S’il n’avait pas eu le livre en main, il aurait pu croire qu’il avait rêvé. Non, le livre était bien là.
Un livre aux pages usées par le temps et les embruns, un livre qu’il serra contre son cœur sans à peine s’en rendre compte. Il était devenu sien et régirait dorénavant sa vie.
Même P’tevoix ne s’y était pas trompée :
- Prends-en soin comme de la prunelle de tes yeux.
- Mais pourquoi moi ? Pourquoi ce livre ? Et ce titre « Trente-deux phares pour une nouvelle vie », s’entendit-il dire.
Belle et Pom’
IL les a rapportées chez lui, mais elles ont deviné tout de suite qu’elles devraient l’apprivoiser. Belle a senti cela, le prendre sous leur protection, telle serait leur mission.
Belle ne s’y connaissait pas beaucoup en humain, mais celui-là avait un quelque chose de différent.
IL avait un air d’absence qui l’intriguait.
Pom’ tentait d’attirer son attention. Elle aurait dû s’appeler Rafale, aimait se lover au milieu des papiers qu’il accumulait sur son bureau, parfois même en faisait tomber. Il ne disait rien, les ramassait et juste esquissait un pauvre sourire.
À la pointe du Raz
Elle se souvenait de lui. Cette allure, ces yeux-là noyés de tristesse, elle admit enfin un jour qu’il lui manquait. Les colis envoyés, les cartes reçues en remerciement ne lui suffisaient plus. Elle voulait qu’il revienne et vite. Cinq ans, cela faisait trop. Des nuits sans sommeil trop longues que même le bruit des vagues n’arrivait plus à apaiser. La solitude commençait à peser trop fort sur ses frêles épaules. Ils ne s’étaient rien promis, mais elle savait que c’était lui et personne d’autre.
Elle relisait le recueil de textes qu’IL lui avait laissé lors de son dernier séjour. Elle en connaissait des passages par cœur.
« Tant mieux. Il était où ton phare, le gardien ? »
Le gamin assis au pied de l’immense grillage parlait ou plutôt hurlait dans son téléphone cette phrase qui frappa mon oreille et attira mon attention.
Moi, Goran, venais de courir le long du canal Saint-Martin ; un soudain point de côté m’avait obligé à ralentir mon allure. Je dus même m’arrêter. Je m’appuyais sur ce grillage dont je n’avais jamais remarqué la drôle de dentelle ornant ses mailles.
« Il était où ton phare, le gardien ? » s’énervait la gamin qui venait juste de s’apercevoir de ma présence.
Je fis mine de rien, essayai de me tenir plus droit, mais la douleur me transperça de nouveau le côté. Je m’agrippai à une des mouettes qui volaient sur ce grillage.
Une mouette… oui, c’était cela… c’était une des mouettes que je ne me lassais pas de regarder quand j’étais là-bas au bout du monde.
Mon bout du monde à moi, avant qu’ils ne le dénaturent avec leurs baraques à souvenirs, leurs baraques à frites ou panini. Le souvenir de mon paradis dont le sol était souillé maintenant de papiers gras me transperça le côté de nouveau.
Je n’entendais plus le gamin, je ne voyais plus que ses lèvres qui bougeaient. Ses yeux s’arrondirent, ma vue se brouilla.
Ma main se crispa sur le grillage.
Je me sentis défaillir, glisser le long de cette palissade trouée.
J’entendis mes derniers mots « phare de la Vieille » avant de sombrer.
Le long du canal Saint-Martin à Paris, le 18 septembre 2014 – Dominique Hasselmann
Lilas59, CC BY ND NC 2.0
Moi, je suis Bernard Colin, gardien du Cimetière Boutet de Charleville-Mézières et moi aussi j’attends. J’attends le jour où on va me dire de partir, de quitter l’endroit, car j’aurais atteint l’âge limite, l’âge de la retraite. Mais je sais que je reviendrais souvent ici pour m’asseoir sur le banc non loin de la tombe du « génie impatient », comme l’appelait Henri Mondor. Je n’aime pas quand on parle de lui comme d’un marchand de fusils. Moi, c’est le poète que j’aime, dont je me délecte des mots.
Peut-être que je reverrais celui qui est venu s’asseoir à la même place que moi aujourd’hui.
Il parlait tout seul.
Un jour, je lui ai demandé :
- Qui êtes-vous ?
Il m’avait répondu :
- Je suis l’enfant de l’homme aux semelles de vent.
(j’ai vaguement le sentiment qu’il (ou IL) va revenir) (je me suis dit -mais vous n’y êtes peut-être pas encore (je veux dire au #L7) – « ce point de côté, c’est le shining » – le votre/lou celui du Goran) (les semelles de vent m’évoquent l’usine où je travaillais à 16/17/18/19 ans ces étés-là pour me payer la moto guzzi bruyante qui m’a toujours échappé)