La nuit est parfaitement aveugle. Résurgence du petit garçon qui sentait ses cheveux se hérisser quand il descendait au sous-sol, rempli de fantômes, d’esprits, de vampires, de goules, de monstre, de tout ce qui était consubstantiel à l’ombre, cet énorme Ça, cette présence informe, innommable et dangereuse. Il ne fallait pas allumer tout de suite, pour laisser le temps de se cacher à ce qui devait l’être, mais il ne fallait pas non plus courir le risque d’attendre trop longtemps dans le noir, sans connaître les intentions de ce qui se dissimule dans les ténèbres. La peur restait, même avec la lumière allumée. Les fantômes étaient toujours là, tellement nombreux qu’ils ne pouvaient pas tenir tous cachés, tapis derrière les portes, derrière les rideaux, dans un coin vers l’établi, ou au fond de la cave, ils devaient forcément se réfugier derrière lui, tourner en même temps que lui, rester dans son dos. L’opacité sourde de la chambre couve cette même présence. Il rallume la lampe de chevet. La chambre est évidemment vide. La chambre est vide, des carreaux de terre en losange au sol, une commode à gauche, une porte à droite, un lit sur lequel il se trouve, une table de chevet avec une lampe. Il a éteint les lumières dans les autres salles, il a fermé la porte. Il envisage d’allumer au moins dans la pièce d’à côté, mais ça ne résoudrait rien finalement. Il ne pourra pas tout voir, pas toute la maison, pas dans toutes les pièces. Il ne pourra pas veiller au vide partout à la fois. Le vide, empli de présence. Il a entendu une fois un archéologue à la radio déclarer que l’Arche d’Alliance était vraisemblablement vide, pour signifier la présence de Dieu. Quelle idée angoissante ! N’est-ce pas quelque part une façon de dire que le vide, plein de quelque chose d’indéfinissable, est en fait habité par une présence amicale ? La solitude n’existerait donc pas, nous serions tout le temps avec quelqu’un ? Nous ne le voyons pas, mais lui nous voit ? Amicalement ? Le voyeurisme est-il un acte amical ? Qu’est-ce qui distingue un voyeur bien attentionné, d’un voyeur mal intentionné ? La volonté de ne pas déranger ? La prudence déployée pour ne pas être vu en train de voir ? Il éteint à nouveau la lampe de chevet. Noir. Ça sent le renfermé. Une odeur de vieille de poussière, de bois, d’herbe coupée peut-être. Le bois de la charpente craque. Il entend un coucou, ou une bestiole dans le genre dehors. Du vent aussi. Tout à l’heure, l’ectoplasme aperçut depuis la fenêtre du taxi. Un tueur en série sur la route, qui s’introduirait ici pour le larder de coups de couteau. La porte d’entrée est bien fermée, mais peut-être qu’un malade mental affamé a pris l’habitude de venir se réfugier ici. Il connaît un autre moyen d’entrer dans la maison, et il ne va pas être très content de voir quelqu’un s’est installé chez lui. C’est ridicule. Il est ridicule. Pourquoi rencontre-t-on autant au cours de son existence de témoins ayant vécu des histoires d’esprits, ayant eu des visions d’âmes errantes qui hantent les lieux ? Lui n’a jamais rien constaté, mais n’a jamais constaté non plus leur inexistence. Schrödinger a surtout démontré l’existence des fantômes. Des chats fantômes. Il est ridicule. Se concentrer sur sa respiration, faire le vide dans sa tête. Penser au vide. Pourquoi quand il fait le vide, il pense au noir ? Est-ce que le vide est quelque chose qui existe ou plutôt quelque chose qui n’existe pas ? Et la matière noire ? Il est ridicule. Cette nuit est aveugle et terrible.