Des fruits sur la table. Il faut vivre, il faut bouger…faire n’importe quoi, surtout au début, partir. Elle regarde le fruit posé sur la table. Elle doit trouver du travail., migrer vers le nord, elle doit trouver de quoi passer les six prochains mois. Elle connaît d’autres comme elle qui sont partis, ont bataillé dur pour pouvoir partir. Elle retourne le formulaire sur la table : sexe, année de naissance, pays de naissance, origine ethnique, scolarité, diplômes, langues parlées, langues connues, langue maternelle, niveau de maîtrise des autres langues, famille, conjoint(e) parenté, enfant, statut civil, expérience comme travailleur saisonnier, sources de revenus. Elle prend Le formulaire : savoir-faire : récolter, conditionner, calibrer, trier, ça je sais faire…pour le rythme ça va aussi, pour le travail en serre, c’est non, pour le dimanche c’est non. Elle fait un geste comme ça avec la tête, une légère inclinaison, elle répète le geste.
La lumière silencieuse sur chaque fruit, le fruit coupé en deux sur la table. Elle s’appuie au dossier de la chaise, hésite prend la moitié du fruit la repose. La lumière muette sur la tasse, la soucoupe de café, les rainures du bois de la table, le bord de la chaise éventré. L’espace respire l’attente. Neuf mètres carrés d’attente. La lumière douce devient mordante, sur la nuque les épaules.
La ville se réveille par la fenêtre entrouverte. Elle doit se décider vite, s’inscrire vite, apporter le formulaire au bureau de recrutement, attendre un entretien.
Des fruits sur la table dans la lumière de la ville, dans l’oubli des arbres, dans l’oubli de la floraison des arbres, les arbres les fleurs les fruits.
Des fruits sur la table. Le rythme régulier des cueilleurs, les mains brunies par le soleil, les ongles noircies par la chair des fruits, le dos sur le matelas dur à même le sol. Le fruit sans bruit dans la paume de la main.
Des fruits sur la table, le rythme irrégulier de la circulation, les sons présents de la ville, l’arrêt d’un tram, sirène d’une ambulance.
Des fruits sur la table, trois pommes des dattes trois oranges.
Des fruits sur la table. Le bruit du papier.
juste : c’est beau (sensible surtout au deuxième petit bloc)
suis touchée par ta lecture, je cherchais et je cherche encore à rendre présente une certaine réalité
j’aime beaucoup ce texte qui se réduit, à la fin, à l’essentiel, cela donne une charge symbolique très forte, amenée avec finesse !