La jeune fille est là depuis un moment à présent . Elle semble attendre quelqu’un. J’ai bien failli ouvrir la fenêtre et lui parler. Mais non. Cela ne se fait pas ici. Je vais encore passer pour celle qui ne connaît pas les usages qui en est restée à sa rue arrosée de frais le matin avant que la chaleur replie les vieux dans les salons sa rue de ville de petit quartier. Celle qui ne sait pas que les chemins d’ici courent vers un cœur noir d’histoires de familles. Chemins boyaux. Le temps s’accroche aux noms qui recommencent. Les histoires sont là . Sans les cris des enfants on les entendrait bruire . On les verrait peut être travailler et se tordre ,lombrics précieux sous nos corps sans oreilles , nous invitant à les extraire et à les regarder longtemps. Nous forçant à prendre courage à ne pas détourner les yeux de l’enchevêtrement des lignes . Plutôt nous approcher et délicatement traiter ce qui remue comme on le ferait d’un collier revenu de longtemps tout embrouillé sur lui. Ils croient que je ne vois rien. Un instant l’Institutrice a levé la tête vers nous. Elle nous a vues l’enfant et moi. Deux silhouettes. La petite à son poste et moi derrière elle. J’aimerais parfois être celle que l’on aperçoit au travail les yeux baissés sur la pâte qui prend celle qui fait voleter la farine dans la lumière de l’après -midi celle qui réveille les chants restés suspendus dans les salles.
Dans la ville soulevée je marche avec elle parfois, comme je marche aujourd’hui dans le soir. Peut être vit-elle non loin, cachée par le nom d’un mari dans les pages de l’annuaire. Un visage, un vieux livre me la rendent par éclat. Ce soir c’est cette jeune fille, adossée au mur aveugle de l’ancienne ferme des D. qui a ravivé les images. Elle attend, jambe repliée, un pied posé contre le mur. La lumière creuse les minuscules accidents du crépi ,passe sur les cheveux bouclés ,rougit le pare brise de la voiture . L’ombre du corps a gagné la route. L’enfant va s’amuser à y sauter pieds joints.
Codicille : Dans le premier fragment, l’extrait prélevé de la sentimenthèque a entraîné une prolifération d’images, que j’ai notées en italiques, comme une greffe sur le texte initial. Dans le deuxième il a plutôt induit une expansion narrative, l’idée d’un lien unissant deux personnages nés de la proposition L3. Il me semble que la proposition L6 pouvait être mise en oeuvre dans ces deux directions. ( C’est même sûr puisque je l’ai fait!) Par ailleurs j’ai commencé à écrire quelque chose qui pourrait être une sorte de cadre, un personnage racontant à un autre l’histoire qui très très lentement se dessine et que je ne connais pas encore.