Elle a poussé la porte, retiré la carte de la serrure, s’est retournée en refermant, a balayé des yeux la chambre qu’elle n’avait fait qu’apercevoir dans l’après-midi en y déposant sa valise et se rafraîchissant, vite, sans faire attendre la femme… et elle a constaté qu’il n’y avait rien à voir, juste une neutralité confortable… Elle est restée plantée un moment entre le lit et la tablette régnant le long du mur entre un fauteuil et les rideaux fermés sur la nuit ; elle a enlevé ses chaussures et, pieds nus, est allée les poser devant la fenêtre, a tiré les rideaux, regardé le rien de la nuit sur l’avenue, un couple, un chien, les voitures garées, les rares lampadaires à lumière morte, a refermé les rideaux en laissant une petite fente entre eux pour que la lumière du matin puisse la saluer, a dit « seule », l’a répété, séparant les deux syllabes, jouant avec sa voix, en faisant une petite chanson en se dirigeant vers la salle de bains, s’est regardée dans le miroir, s’est fait machinalement une grimace, a défait ses cheveux, est restée immobile, répétant pour les apprendre, les fixer, leurs noms… a passé un coton pour effacer ses traits du jour, est revenue dans la chambre, s’est assise sur le fauteuil, a tiré à elle le bloc de papier de l’hôtel, fouillé dans son sac à la recherche d’un feutre fin, a noté les prénoms des parents, ceux de Chantal et Jean même si pour eux c’était inutile, et puis, en plus gros : Martin, est restée un moment main levée, yeux dans le vague, attendant en vain que remonte en elle la silhouette, le visage, une impression, quelque chose de plus précis qu’une agréable sensation de banalité aimable, a secoué la tête – ou l’a cru – de toute façon, il part demain… oui mais ce qui compte c’est ce qu’il y a de lui dans les deux enfants. Elle a posé l’un sous l’autre les noms de Valérie et de Julien… elle a fermé les yeux pour les faire venir ; elle a pensé – faudrait savoir aussi quelle était leur mère, celle qui était partie, dont on ne parlait pas – mais ça ce n’était pas possible – et ce qu’elle a laissé en eux, habitudes, souvenirs, amour… les visages se sont dessinés même s’ils étaient encore un peu flous, elle a souri, et puis, parce qu’elle en avait envie, pour clore le jour, profiter de ses derniers moments de solitude, de quasi liberté, se préparer au lendemain, à son installation dans l’appartement sur le canal, elle a sorti son carnet et commencé à noter : les boucles de Valérie, sa sagesse appliquée et sa malice, la politesse réservée et les yeux en appel, sa jolie insolence en répondant à une remarque de sa tante – elle n’a pas noté ses propres craintes, juste posé un point d’interrogation – et puis le silence de Julien, son front bombé, les brèches dans sa bouche, ses jambes de faon… elle a ajouté sa gourmandise, et sa façon de faire du charme, brièvement, juste autant que nécessaire, à sa grand-mère, et de le surjouer un peu comme une plaisanterie, un code entre eux. Elle a fermé le carnet, elle s’est levée, a regardé, en entrebâillant les rideaux, le sommeil de la ville, s’est préparée à la nuit.
La valise est fermée, le sac est presque bouclé, il s’est réveillé tôt, il ôte les draps, les mets dans la machine, refait le lit – il a choisi le Liberty qu’aimait sa femme, à tout hasard –, les enfants dorment encore, il a rincé son bol, mis la table pour eux, il s’agace de tourner en rond, il s’en veut de les quitter, il l’a fait pourtant si souvent autrefois, cela devrait lui sembler si naturel, il n’avait pas réalisé la force que prenait cette habitude – il pense cet encroutement, il pense me manquent tout de même brigrement les chantiers, et pas seulement parce que je stagne dans la boite, il sourit brusquement avec gourmandise, une gourmandise presque carnassière, en pensant à ce qui l’attend, là-bas, à des kilomètres, à des amis et moins amis qu’il va retrouver… un nez retroussé, des cheveux ébouriffés dans l’entrebâillement de la porte, il embrasse sa fille, l’envoie à la cuisine, hésite, et puis finalement il prend une feuille, il commence à écrire ce qu’il faut que cette femme – il n’est pas arrivé à la deviner hier soir… une amie de Chantal, mais aussi de Jean… un espoir… et puis sa mère ne lui a pas laissé le choix… a du avoir une histoire dans sa vie pour être si disponible, mais n’en laisse rien deviner ; on ne sait ce qu’elle pense, c’est vrai que ce dîner ne s’y prêtait pas… souriait, regardait, comme si elle les tâtait, mais discrètement – à lui écrire ce qu’il est impératif qu’elle sache sur les petits, au moins matériellement, le reste elle le découvrira, il ne peut que l’espérer.
texte rendu envoutant par ces présences qui hantent
merci…
j’aime ces taches de lumière et d’ombre – ce qui n’est pas dit, je l’imagine – pour moi seule j’écris avec toi.
merci à toi… pardon de si peu lire (puisqu’écrivons ensemble je me promets de le vérifier ce soir 🙂