25 juillet – On est dimanche. Je passe et repasse le corps en plastique de ma tondeuse dans l’herbe qui a besoin d’être coupée. Je peux voir l’effet direct de chacun de mes gestes grâce aux rayures dessinées à travers l’herbe. La tâche avance. Je glisse au long des bordures de plantes où il y a des cailloux et puis ça se met à renâcler, le vrombissement du moteur se modifie sensiblement. Quelque chose ne va plus. Une chose est sûre : le bruit n’est plus le même. J’éteins, redémarre, rien à faire, la tondeuse ne fait plus son travail. Je suis profondément agacée d’autant qu’elle a été achetée récemment (85 € fichus en l’air).
samedi 24 – Matinée fraîche, heureux contraste avec les jours brûlants d’avant. C’était annoncé. La fenêtre ouverte délivre un air doux qui caresse mes jambes repliées. Je reste allongée sur le lit et tente d’écrire une histoire de paysage.
23 juillet – Un vendredi je crois. J’épluche des courgettes ramassées au jardin tôt le matin. J’utilise un épluche-légumes (en plastique vert anis, hideux mais efficace). Les lambeaux de peau s’accumulent sur le bord de l’évier. Je les regarde, constate qu’ils sont méconnaissables une fois détachés de la chair du légume, rien que des lamelles privées de consistance et en même temps d’identité. Je les rassemble d’un geste rapide, les dépose dans la poubelle destinée à mes poulettes (toutes les trois adorent les épluchures). Ensuite je m’occupe de l’ail et cisèle de la menthe dans un bol japonais. Odeur intense et délicieuse. La couleur des feuilles de menthe s’assortit parfaitement au bleu céladon de la poterie.
22 juillet – Elle est en retard, la table est réservée sous les arbres et le soleil est en train de basculer derrière les Falguières. Presque pas de vent. On attend la nuit, il a fait si chaud. Je commande un verre de vin blanc et je l’attends.
21 juillet – Salle d’attente de l’ostéo — j’y vais toujours le mercredi. J’ai besoin de ses mains qui réparent mon dos blessé. Tellement besoin. Je pense à ses mains tout en lisant Leçon de choses que j’ai pris avec moi tandis que les autres regardent leurs téléphones. Je visualise la fracture de ma vertèbre, me souviens de l’accident et de toutes ces semaines à attendre qu’elle se consolide. Quand j’y pense, le corset oppresse encore ma cage thoracique mais les mains de L. me délivrent du mal et du doute. Je pense fort à ses mains en lisant : « Morceaux par morceaux, pans par pans, la cloison, les couches de papiers aux couleurs fanées choisis et posés par les anciens occupants. » Ainsi en est-il des événements qui touchent le corps vibrant, se superposent, s’y inscrivent en traces, lignes de suture, cicatrices. Plus tard dans la journée, j’entreprends une recherche sur les outils utilisés par les carriers et les tailleurs de pierre. Leurs mains larges et puissantes seraient certainement parfaites pour apporter des soins à nos squelettes meurtris.
Mardi 20 – Qu’ai-je bien pu faire mardi dernier ? Aucun souvenir marquant. Rien qu’un jour dans la foule des jours déjà trop éloignés dans le temps et dans la mémoire. Je jette un œil dans mon agenda. Ah oui, la venue de S. pour le ménage de la maison. S. est la remplaçante de F. partie en vacances. Elle est en avance, jolie dans sa robe floue, blonde, tellement gentille. Je repousse les volets de la pièce où elle travaille et referme une fois qu’elle a terminé. L’obscurité est nécessaire, trop grande chaleur dans le Sud. Je lui fais un thé vert parfumé qui s’appelle « La demoiselle du Mekong » — c’est écrit sur l’emballage. Elle m’a dit qu’elle aimait le thé vert.
Lundi 19 – Coup de fil vers 11h (j’ai bien noté que c’était le 19) : « Notre amie L. sera hospitalisée cet après-midi. ». Aïe. « Pour une exploration des artères à la recherche d’épaississements, rétrécissements qui pourraient expliquer l’essoufflement. La pauvre n’a pas de chance, elle cumule les problèmes depuis deux ans. » Sa gaieté coutumière morcelée. La pensée d’elle me poursuit toute la journée – la pensée de la disparition progressive des corps amis, définitive.
18 – Un autre dimanche trop loin. Je ne sais plus grand chose sinon que j’ai recherché Leçon de choses de Claude Simon dans les rayons de ma bibliothèque et que je l’ai déposé sur mon bureau.
Codicille : Toujours impressionnée par l'univers de Kafka et grosse interrogation en écoutant la vidéo. Ai attendu un jour de plus, un jour de plus pour tenter d'écrire quelques scènes insignifiantes volées à mon quotidien d'été. Et ça a glissé, ça s'est écrit naturellement au point que je me suis murmurée que je pourrais tenir un "journal", peut-être cet hiver... on verra ça, n'est-ce pas ?
y a toujours un soulagement, après avoir lancé une proposition (et c’est tellement à tâtons) quand on découvre ce qui surgit !
Un peu même chose de l’autre côté de la proposition… on la reçoit, on est dubitatif, on se demande… et puis on y va…
et alors on est surpris…
Merci infiniment pour cet écho (qui me touche forcément)
je retiens le pouvoir des mains et la fraîcheur délicieuse revenue un matin, je retiens les mots
là où se porte l’attention, l’intérêt… là où ça touche
et les mains, c’est si fort !
(je me souviens de la proposition des mains dans le cycle Outils d’un roman qui avait été déclencheur chez moi pour mon personnage en bois d’azobé…)
beau et fort souvenir aussi pour la lectrice le bonhomme en bois d’azobé (chez moi bonhomme c’est tendre)
Oui bien sûr… je vais le publier à la rentrée sous le titre « Bois d’azobé », je suis en train de travailler la couverture… enfin, si j’en trouve le temps, car ces ateliers d’été sont dévoreurs de temps…
Je vous tiendrai au courant bien sûr…
les tâches, les fenêtres, les courgettes et les salles d’attentes…beaucoup aimé ces arrêts quotidiens (ai aussi cherché un livre un dimanche mais je ne l’ai pas trouvé…je le cherche encore)
On n’arrête pas de chercher, on attend, on pense, on lit, on écrit, on rêve aussi… presque tout cela en même temps…
Et on s’aperçoit qu’on perd vite le décompte des jours et qu’on ne les associe pas forcément aux bons événements… qu’importe…
Tellement merci pour ce passage et cet écho…
oui c’est tout à fait ça Françoise…tout en même temps…et cela sort comme ça, dans toute cette diversité et cette absence de hiérarchie des importances
Du jardin à la cuisine, dehors, dedans, sous la chaleur, on a l’impression d’être le chat de la maison, sauf qu’en plus, on pénètre dans toutes les pensées du corps : en action, meurtri, beau, malade, mangeant, buvant, attendant. Je réalise que tu es beaucoup plus physique que moi, c’est sûrement cela qui fait ton écriture si ancrée, si terrestre, si percutante. Il est bien cet exercice ! 🙂 Je réponds à ton mail très vite, ai trouvé une solution.
Oui tu as raison, Isabelle… « il est super bien cet exercice » et pourtant je n’avais guère envie de le faire, je veux dire de l’appliquer à moi même…
A présent je vais m’occuper de l’appliquer à mes personnages des landes et des tourbières, ce qui va m’intéresser beaucoup plus !! (enfin on va voir !)
(physique ben oui ! et trop rapide et trop impulsive, ce qui parfois m’entraîne dans le mur…)
Très incitatif ton texte, Françoise. J’aime les couches dont tu parles et chaque texte issu d’un moment qu’il faut aller rechercher, c’est comme éplucher. Merci
Hello Anne, heureuse de te retrouver sur ce carnet de bord…
oui on pourrait continuer à rebours comme cela, en fait ça provoque un truc, une sorte de confusion entre souvenir et fabrication du souvenir, entre réel et imaginaire
ça nourrit extrêmement bien l’écriture…