Chapitre 1
-Laissez-moi tranquille… Laissez-moi tranquille…
Il (costume gris en Tergal, coupe classique, chaussures noires à lacet cirées, modèle courant) arrive seulement, mais il a toujours été là autant qu’il s’en souvienne. Il est là depuis des années, des dizaines d’années, pourtant, c’est la première fois qu’il y vient. Le hasard l’a voulu ainsi. Cette fois-ci, il n’a pas eu à prendre ni le train ni l’avion. Les emplacements sont pris. Il tourne et retourne. Il n’est pas pressé, il préfère que le temps s’étale. Il ne s’intéresse plus au temps, à la durée, tout du moins aux heures, aux minutes, ces valeurs n’ont plus vraiment de sens ici. Une voiture part. Il se gare. Il observe les autres. Ils ont tous l’air grave, lourd. Une force les enfonce dans le sol. La gravité ici, n’est pas la même, c’est une île dans la ville. Le flot de voitures continue sur l’avenue comme le sang circule dans ses veines. Quelqu’un klaxonne. Il sort de sa petite voiture (Renault Twingo un litre deux Confort Authentique, couleur orange, nombre de place : deux, dimensions : longueur trois mètres quarante-trois, hauteur un mètre quarante-deux, largeur un mètre quatre-vingt-sept, empattement deux mètres trente-cinq, poids à vide huit cent cinq kilos, réservoir quarante litres, moteur atmosphérique : nombre de cylindre :quatre, nombre de soupapes par cylindre : deux, cylindrée onze cent quarante-neuf centimètre cube, véhicule en bon état, sellerie présentant une usure sur les deux sièges avant, rayures nombreuses sur le Neiman (contacteur de démarreur) et sur le bouchon d’essence).
Il avance le long de la contre-allée, une femme en manteau mauve (manteau de modèle courant, coupé dans une matière chinée parsemée d’empiècement contrastant, col montant, fermé par six boutons, deux larges poches sur le devant, matière cent pour cent polyester, doublure noire, sa longueur est de quatre-vingt-cinq centimètre, usure importante au col) promène un chien. Le mur en pierre de taille empêche de les voir. Il accélère le pas, il a hâte d’aller à leurs rencontres. Il n’est pas seul, devant lui, il y a un couple de personnes âgées. Il les retrouve devant la porte en fer forgé. On voit au travers, les allées gravillonnées, c’est un bel endroit. Ils attendent ensemble. Un lien les unit, un sentiment confus, une sorte de solennité. Ici, chacun est peut-être plus qu’un. La porte s’ouvre, il les laisse passer. Ils le regardent, ils ne sourient pas. Il comprend. Il avance, il est perdu, ils sont tellement nombreux. Il les voit, il les lit. Soixante-quinze moins quarante-trois (stèle avec doucine devant un encadrement, le tout en granit noir, l’encadrement est rempli de petit gravillon en granit gris, deux pots contenant des fleurs en plastiques le décore). Quatre-vingt-dix-neuf moins cinquante-deux (stèle sculptée avec des épis de blé et une dalle classique, sur la dalle est disposé un portrait de la morte figurant sur un médaillon en porcelaine). Les fleurs sont belles, quelques petits oiseaux chantent discrètement l’arrivée du printemps. Ici, le bruit des voitures a presque disparu. Il entend les pas sur les graviers quelques fois un murmure échangé entre deux ombres. Deux mille moins soixante-quatre (dalle en granit gris avec une croix). Il n’y a souvent que l’essentiel, le nom, le prénom, la date de naissance et celle de la mort. Ils n’indiquent jamais l’âge, il doit le calculer. Il doute quelquefois, alors ils vérifient, c’est tellement peu. Cinq ans. Six mois. Douze ans. Vingt et un ans. Il souffle, à chaque fois il souffle. Il continue, il attend une rencontre. C’est toujours pareil, il y a un signe, maintenant il le sait, il ne s’inquiète plus. Alors il avance le dos courbé de plus en plus. Il arrive à la fin de sa visite. S’il le faut, il restera jusqu’à la fermeture, il y pense déjà, il est prêt. Quatre-vingt-dix-neuf ans. Huit ans. Un an. Il arrive dans la partie la plus récente. C’est aussi l’endroit le plus fleuri. Deux mille vingt et un moins deux mille (dalle en granit grise). Le vent chaud du sud lui caresse la joue. Il sourit. C’est Elle. Il note sur un calepin (carnet format A5 beige, contenant 80 pages couleur crème sans lignes, soixante-sept pages utilisées, écriture petite et nerveuse au stylo Bic noir fin.) qu’il sort de son veston (veston gris en Tergal, coupe droite, 4 boutons noirs, usure aux manches), les quelques informations gravées sur la pierre. Il sourit. Il a chaud, sa chemise (blanche, cent pour cent coton, manche longues, coupe droite, col classique, bouton plastique blanc, pointes du col boutonnées, usures au col et aux poignets, légère usure au coude droit) colle à sa peau. Il pense à demain.
Codicille: élargir mon texte, élément utilisé : la littérature technique qui nous entoure. L’intérêt potentiel est de multiplier les strates de narration, par la description de ces objets de compléter le récit initial ou de créer un nouveau récit parallèle.Comme toujours quand on teste une recette pour la première fois, on doute du résultat, on verra bien.
Phrases courtes, détails des vêtements, du calepin, du suspens, du mystère, j’ai « marché »
Isabelle
Merci, j’espère t’emmener loin.
c’est bien d’écrire ce que tu écris par hasard, parce qu’en l’occurrence, le hasard fait bien les choses
Merci beaucoup, j’espère que le hasard continuera de bien faire les choses.
nous le suivrons, bravo, malgré le costume et la twingo (mêle si dans la grande ignorance je serais incapable d’en reconnaître une mais ça fait image
Merci .
L’ultra précision du détail donne un côté comique et décalé à l’ensemble, ce qui est bienvenu, car cela m’a permis de vivre deux émotions contradictoires. J’aime certaines de tes images comme celle-ci:
Il entend les pas sur les graviers quelques fois un murmure échangé entre deux ombres.
J’ai laissé un commentaire pour toi à l’instant à la suite de ton commentaire sur ma page.
Texte pioché au hasard…
Quand j’ai lu le titre, j’étais contente de trouver une île en ville. Puis, j’ai rencontré ton personnage et j’ai erré avec lui sur l’île, entre les tombes et les ombres. Balade qui me parle avec ses dates et les calculs que l’on fait pour s’étonner de la brièveté de la vie de certains. Merci !