Oter ses sandales et palper la fraîcheur de l’herbe détrempée par le gros orage de la nuit. Fermer les yeux pour mieux ressentir la vigueur de la terre envahir le corps. Un rythme, une musique, un chant, l’élan d’un cheval échappé de l’enclos, sa fougue et son souffle brûlant, la fièvre des sabots épris de liberté, chevauchant avec ivresse les sources jaillissantes enfantées à son passage… Respirer à fond l’éther enivrant, galoper dans l’espace intersidéral, scintiller dans la proximité des étoiles, leur confier ses vœux, prier dans une langue inconnue les yeux attachés à leur lumière, retrouver avec l’énergie du lieu la vitalité d’une ancienne jeunesse. Retenir les rênes de la bête enfin et calmer son cœur, éloigner l’appréhension qui gagne. Admirer l’envol des passereaux tout autour. D’un tremble à un hêtre, d’un bouleau, un cyprès. Ils s’appellent, criaillent dans leur essor, déchirant dans leur course le bleu franc du ciel. Deux mésanges huppées se poursuivent un instant au pied des conifères. Les observer, tout de gratitude pour ce cadeau inattendu, une aquarelle en gestation dans un coin du cerveau. Se laisser surprendre par le moteur, derrière lui, d’un tracteur trouant le silence de la matinée. Jeter un œil derrière soi, vers les rangées de vignes palissées, feuillues, aux fleurs fécondées qui verront naître les premières baies. Un rythme, une musique, un chant, les vendangeurs au pied des ceps mordorés, le chœur des serpettes et des sécateurs, le déhanchement des porteurs de grappes déversant leur hotte dans la benne vermillon, les rencontres dansantes au détour d’une allée, les bousculades sur les terrasses escarpées, les retrouvailles couleur de sang, les baies écrasées filant entre les doigts, l’ivresse, l’extase, le jus de la terre, le vin des noces et du désespoir. Ici, le paysage se noie dans les vignobles, les champs de lavande, un village sur un éperon domine la vallée, un autre s’est agrandi de lotissements et d’une zone commerciale, les montagnes au loin, veillent sur les hommes. A vingt mètres devant soi voir se dresser l’ancienne grange. N’en rien reconnaître d’abord. Se laisser happer par le dépit. Constater que la façade de pierre a été percée de larges baies vitrées, qu’une treille habille une structure de métal rouillé, protégeant de son ombre une terrasse dallée. Apercevoir à droite, le puits obus émerger toujours de la surface du terrain. Soupirer de soulagement. De son dôme gris sombre s’échappe le chant dru d’un jet d’eau sur la pierre creusée. Un rythme, une musique, le cri premier d’une cascade, ses premières vocalises avant la chute, la rupture brutale de toutes les barrières, le chaos du déluge, et puis la renaissance. Sourire et pleurer des larmes soudaines. Reconnaître l’escalier bordé de murs témoin d’un passé qui est le sien. En grimper les marches jusqu’à la terrasse, attraper du regard l’érable du Japon au feuillage éclatant, le grenadier d’ornement taillé, fleuri de capuchons rouges, la deuxième terrasse enherbée, surélevée, sur la droite, qui donne accès à un corps de bâtiment inexistant dans son souvenir. De quelles espérances avoir nourri les années en revenant ici ? Un coup de vent brutal anime les carillons suspendus à l’érable. Il sursaute, égaré, piégé dans son présent. Il est revenu.
Codicille : j’avais d’abord intégré entre parenthèses tout ce qui se passe que le personnage principal ne sait pas, et puis j’ai abandonné l’idée, pour ne pas alourdir la lecture de cet « exercice ». Je n’ai travaillé la proposition n°5 que sur le premier texte, l’arrivée du personnage. Me suis contentée d’un tout petit fragment emprunté à ma sentimenthèque (Aragon). Mais très envie de poursuivre, ailleurs, avec deux autres fragments repérés et non utilisés. Conscience d’être allée vers ce qui était plus facile pour moi !
Aime cette nature qui gagne votre texte !
merci, Alice ! Oui, la nature m’inspire, d’une manière générale !