Un couloir s’enfuit devant (#L1). Au sol, des rais de lumière lèchent ses pas, éclats de jour, minuscules notes, de musique à étourdir qui s’y engouffre. Et les bruissements derrière les portes presque invisibles racontent le silence, abîme absorbant ceux qui ici entrent, comme lui sans échappatoire. Fuite impossible. Il croit entendre le cliquetis de doigts sur un clavier, peut-être une voix qui se veut discrète. Il voit la lumière qui se brise sur sa gauche, derrière cette porte peut-être un conciliabule. Quelque chose se froisse. Un rire. Combien sont-ils ? Parlent-ils de moi ? Ses sens s’aiguisent à mesure qu’il avance. Fuite en avant, long couloir. La mélodie du sombre et de la lumière prend vie, plus nettement. Il entend. Lui reviennent d’autres couloirs, un autre couloir à la lumière aveuglante, néons bleutés. La musique c’est le cliquetis des clés. Le trousseau est énorme, il l’entend avancer. La musique c’est les talons implacables qui écrasent sa liberté, lourdement lentement enfoncés. Les talons et le trousseau, les deux instruments, petite musique chaque jour jouée, répétée, le temps s’est immobilisé dans quelques mètres carrés. Seule la serrure dans son mouvement grinçant rythme les saisons. Une journée, trois tours de clé. Il avance, s’invente une mélopée quoi de mieux vraiment ?, imagine des accords diminués là où les portes laissent entrevoir de possibles aurores mais la lumière tombe maintenant, le couloir a fini de s’enfuir et lui est toujours là. Une mains se pose sur son épaule.
…horloge du monde… (#L2) Car nous sommes le temps qui ne passe pas. Nous sommes le temps qui s’arrête. Nous sommes l’aiguille et l’aiguillon, la seconde et la dernière chance. Le temps ne nous blanchit pas, nous lui tenons la bride, fermement nous le retenons, inflexiblement le mettons au pas. Nous sommes son tempo. Adagio ! Nous ne savons pas l’oubli car rien ne passe, tout revient. Nous inversons son souffle et sa course infinie se suspend entre nos murs. Nous sommes le ressac du passé naufragé. Nous sommes le sablier évanoui. A-t-il compris comme depuis ce jour nous sommes le fil à lui arrimé ? Voit-il comme tout en lui est figé ? Ainsi nous le tenons. Il a beau compter les serrures et la clé et les pas les talons les néons, qu’il commence à cent qu’il s’arrête à trois, nous gardons le temps qu’il croit vieillissant là entre nos mains comme dormant. Vient l’heure de l’éveil. Avance homme, avance. Doucement s’il le faut, ses pas dans la lumière et l’obscur. Nous sommes là, son présent permanent, nos aiguilles les sent-il ? Nos aiguilles son zénith immuable. Avance homme, avance.
…oublier son visage (#L3). Il avait l’œil blanc comme du papier rugueux et au milieu, un trou noir à effondrer le vivant. Il avait dans le blanc du sang en sillons creusés sur les pentes d’un volcan. Il avait sur le nez des perles de sueur nées dans la profondeur de l’amer. Il avait. Je ne me souviens plus de sa bouche. Elle avait une voix définitive. Il avait les cheveux ras, les tempes nues haut sur le crâne là déserté. Il avait le visage rond et pourtant ne dégageait que des angles, des pointes, des arêtes. Il avait le cou large, où battaient des veines gorgées de pouvoir.
Codicille: J'ai prélevé plusieurs extraits de phrases de ma sentimenthèque qui me semblaient à peu près propices à me pousser vers l'expansion. Il y en a eu 5, puis 3, puis l'unique: "peuple les vides". Je crois que ce que j'écris est toujours plein de vides pour les personnes qui se retrouvent ici à me lire. J'aime beaucoup ces vides je crois. Pour autant, je me suis proposée d'en peupler quelques uns. J'écris toujours très court. Donc même dans l'expansion, je suis un peu avare... Je ne sais pas encore faire large et grand. J'ai donc ensuite choisi des éléments de détails des textes précédents (3 ou 4 à chaque fois) pour n'en choisir qu'un seul par texte, présent en début de chacun des trois paragraphes supra. Bref, j'ai alors tenté de faire œuvre de peuplement...
J’aime toujours tes codicilles, tes textes aussi mais aussi tes codicilles.
Ce sont de beaux espaces les codicilles 🙂 Merci Lamya de m’avoir lue!
D’une grande puissance … Vive ces vides à peupler, vive les courts qui infiltrent le papier (virtuel aussi).
Merci Clément. Je crois que je vais garder ça en tête, cette idée de peupler les vides. Et pour l’instant, je me sens bien dans le court: j’y suis, j’y reste 😉
C’est très beau cette atmosphère. Et ces images.
Merci Louise 😉
Merci! d’une extrême fluidité, cette écriture qui ondule, on se laisse bercer et quelque chose surgit presque sans crier gare, comme voilé par cette sorte de drapé ondulant que tu poses. Ce mot « pouvoir » là, à la toute fin, on ne l’attend pas, il promet quelque chose de nouveau
Merci Lisa! Si tu y trouves la sensation d’être bercée, c’est qu’il y a un certain rythme, donc je suis heureuse de ce retour. Pouvoir: oui, il est venu et doit devenir!