Le boulevard qui longe la mer
C’est le jour. Un immeuble, un parc, un boulevard, des voitures, des motos, des vélos, des piétons, des joggers, des jeunes, des moins jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, des enfants, des chiens, ils sont tous là sur le boulevard et ses trottoirs. Ils ont vue sur la mer, le phare, le plongeoir, certains descendent l’escalier qui conduit au chemin des douaniers le long de la mer. C’est un monde disjoint. Un immeuble tout blanc des années 70, un immeuble cossu avec de grandes terrasses, certaines orientées plein sud sur la mer, un parc planté de palmiers, d’oliviers, de magnolias et d’arbustes, un boulevard peu large assez fréquenté, des voitures contraintes à rouler lentement, des motos bruyantes, des vélos en nombre croissant, des piétons décontractés très nombreux le dimanche et les jours fériés. Piétons de tous genres, tous âges, toutes mœurs, toutes classes sociales. De petits arbres protègent les personnes assises sur les bancs qui jalonnent le boulevard. Si le regard s’élève, il peut être frappé par le flux constant de couleurs, de sons, voix, rires, klaxons et cornes de bateaux animant cet espace. L’immeuble étend en plein midi ses tentes rouges pour avoir moins chaud et ne pas être ébloui, le parc se peuple de visiteurs qui tantôt pratiquent tai chi, boxe ou yoga, tantôt promènent enfants ou chiens, tantôt piqueniquent ou se bronzent allongés sur l’herbe. Alors la fragmentation disparaît, et seule une forme gigantesque tel un dragon flamboyant à la lumière intense du soleil et ses sujets l’accompagnant s’étire et grandit sans cesse.
La nuit, un autre monde surgit. L’éclairage bleu humide des réverbères donne à l’ensemble une allure fantomatique. L’immeuble offre ses nombreuses fenêtres éclairées telles des yeux sortis au même moment de leur antre pour scruter la nuit. Le parc fermé au public est noir. Les voitures sont peu nombreuses. Tout est faussement calme. Parallèle au boulevard en contrebas, le chemin des douaniers sans lumière attire des individus intrépides ou louches. Les intrépides remontent vite, les autres s’adonnent au trafic de drogues et aux pratiques homosexuelles sans amour. Le dragon du jour, bon et pacifique a laissé la place au dragon de la nuit diabolique.
Le jeune homme mort
Le jeune homme retrouvé mort dans le jardin de la villa près de l’immeuble situé sur le boulevard qui longe la mer est vraisemblablement une victime d’adeptes de cette vie nocturne dangereuse. Le jour, dans ses moments de loisir, il faisait de l’aviron. Le club nautique est juste en face du parc et à deux pas du plongeoir. Il n’avait qu’à traverser. On dit que le jour il chantonnait ou sifflait donnant l’image d’un jeune homme insouciant. La nuit, il sortait, toujours habillé de noir et sauf les jours de tempête, il arpentait le chemin des douaniers, arborant un hors l’ordre moral sans mesurer les risques qu’il prenait et la descente aux enfers qu’il creusait plus profondément chaque jour. Lorsqu’il remontait tard dans la nuit, il avait les yeux rougis, les vêtements en désordre et l’allure avachie. On n’en sait pas plus, à cette heure, des circonstances de sa mort et de l’identité de son meurtrier. Aujourd’hui, le temps est poisseux, lourd, le ciel laiteux, l’atmosphère étouffante. Tout pèse sur la nuque des passants. Certains se débattent pour en sortir. Ils ressemblent à des insectes prisonniers, étudiant le sol au-dessous d’eux pour y percevoir une solution. L’asphalte ne répond pas, elle se contente de briller. Un chant d’oiseaux soudain lacère cette pesanteur, étire vers le haut les regards et surprend les ouïes, tout retombe presque aussitôt.
Partir au hasard
Partir au hasard, errer, pour suivre un appel intérieur, une voix qui de longue lutte a percé le mur d’enfermement. Rejeter enfin les limites subies depuis plusieurs années, tolérées par des considérations morales recouvrant de leur glu les carapaces égotiques si risibles avec du recul. Décider de devenir plus accueillante à la vie. Elle a pris le temps de bien choisir ses chaussures, légères et confortables. Adopter un bon appui sur le sol pour retrouver un équilibre ancien, s’autoriser à marcher à la seule allure qu’elle choisirait, imaginer son envol par instants hallucinés, décoller et revenir en douceur dans le réel et ses exigences. Partir loin s’il le faut, après une première étape dans une petite ville. Prendre des risques, affronter ses obscurités. Et dans une errance étrange, trouver le sens de son propre mystère.
Amour éphémère et intense
Il est monté dans le train ce matin pour aller à un rendez-vous professionnel qui l’ennuie. Il ne supporte plus le discours vide des experts en communication. Il se sent fatigué, mais il perçoit en lui des forces qui pourraient ressurgir. Sa tête se balance sans cesse, au rythme des oscillations du train, une mèche de cheveux cache son œil gauche puis le découvre. Surpris tout à coup par la présence d’une femme seule, peu éloignée de lui. Elle a un regard triste, elle n’est pas très jolie, mais elle l’attire. Il la regarde sans cesse, oublie sa fatigue et son rendez-vous. Il se lève, s’assoit à ses côtés en resserrant pudiquement ses jambes. Ses mains le gênent. Il hésite à étendre sa main gauche sur le côté, ce serait trop près d’elle, il la pose sur sa cuisse gauche, mais hésite à adopter soit les doigts tendus soit repliés. Il change souvent leur position, signe d’une nervosité manifeste. Il se pince le bras pour reprendre le dessus. Ça marche. Elle semble ne pas se rendre compte de sa présence. Lui ressent une chaleur qui l’inonde. Il ne parle pas. Il respecte son silence, mais il a bien vu, en tournant la tête vers elle, de tout près, la légère coloration apparue sur ses joues. La chaleur les a inondés tous les deux — signe d’un amour éphémère et intense.
Fragments mystérieux d’une mosaïque dont on a envie de connaitre l’ensemble. A suivre…
Mystère non encore défini !
merci Claudine de votre retour
Le boulevard et la mer, la mort, la nostalgie… tout cet espace qui commence à se dessiner, si proche de nous
A te retrouver vite…
merci Françoise de toutes tes fidèles lectures.
oui un espace singulier commence à se dessiner, je suis aux aguets !