Il y avait cet almanach Vermot accroché là au mur, sur la droite, après la porte d’entrée tout de suite en arrivant. On est bien dans la cuisine et pas encore dans la salle à manger. Elle était chez ses grands-parents, dans cette maison des années 50, avec une entrée et un bow window, des chiens assis à l’étage mais point trop n’en faut. Elle n’était pas encore une très grande fille mais ses seins avaient déjà commencé à pousser. Le papier peint de la cuisine commençait à s’effilocher, surtout sur la droite, avant d’entrer dans la salle à manger qui servait aussi de salon. En fin de compte, c’était aussi un grand salon cette pièce qui servait de salle à manger pour les grandes occasions, et parfois aussi pour le quotidien, quand le tonton n’était pas loin. Le tonton camion qui chahutait sa liseuse accrochée au mur, la liseuse de Fragonard qui pendait là au mur, enfin une de ses reproductions, on ne savait pas trop pourquoi.
En tout cas, elle, ça l’intriguait beaucoup cette liseuse qui pendait là au mur, du côté du salon, au-dessus du canapé. Qui était elle et que voulait elle au fond cette liseuse ? Elle voulait faire comme elle, lire toute la journée et pourquoi pas en faire sa profession. Lire toute la journée ? Non mais ça va pas la tête ? Et pourquoi pas écrire alors comme on fait du bon pain avec des mains de boulangère qui connaît bien son affaire ?
Écrire comme on pétrit du bon pain avec du bon levain, oui pourquoi pas, c’est de l’audace mais oui pourquoi p ?s. Elle, elle se souvient de cette fameuse liseuse de Fragonard dans le salon de ses grands parents, au dessus du canapé. Je crois qu’elle a refermé le livre et qu’elle s’est mise à écrire comme une damnée, une condamnée de Proust. C’est qu’elle l’aime bien son Proust. Oui elle y tient comme à la prunelle de ses yeux qui sont bleus comme une planète avec un peu d’orange à l’intérieur. Et après ça, mystère et boule de gomme… et décalcomanies.