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Les bruits de voix arrivent par vague, un cri, des voix plus rauques. Des amas de voix qui se condensent, nuages de voix formant des zones entre des zones de silence, scandées par les pas, dans cet univers là rien n’est égal, c’est le brouhaha, sur le tapis roulant, c’est le silence, c’est une parenthèse, on dirait que ces êtres qui sont sur le tapis roulant ne sont de ce monde qu’à moitié, le silence, on dirait qu’ils se préparent, ils sont souvent joyeux, sur le tapis d’en face il aperçoit des visages, plutôt souriants, engageants , ça lui donne envie de continuer, de toute façon, il n’ a pas le choix, le tapis l’emporte comme les autres il se dit que dès qu’il posera le pied sur la terre ferme ça lui fera un choc, que rien ne sera jamais plus comme avant, il se dit toujours ça, qu’espère-t-il ? il se dit quelque chose changera après cela , le silence sans doute, cette pause dans le mouvement qu’un mécanisme réalise pour lui, et que tout changera, bien sûr c’est une illusion, bien que maintenant il se s’y fait plus prendre, ça lui évite de réfléchir de choisir ça choisit pour lui, ça l’emmène un point c’est tout dans ce non choix, traine le silence qui s’étend devant lui une plage de silence sans note sans musique une plage de temps sec, sans émotion. Les gens autour lui sourient, on dirait qu’ils comprennent, ils sont bienveillants les gens, ce sont ses amis, ils le regardent fraternellement, comme si, comme si quelque chose pourrait se passer dans ce couloir sans fin dénué de poésie dénué d’émotions et pourtant, ils ne se frôlent pas les gens, ils se touchent pas sur le tapis roulant avant d’arriver dans le grand hall. Il perçoit aussi la vitesse à laquelle il avance et sa respiration qui ne correspond pas à son allure dans l’espace. Son inconscient perçoit ce décalage, son corps essaye de recomposer quelque chose de logique pour compenser, il change de position, ça devient interminable, il a chaud, très chaud, ça lui demande une énergie folle de se maintenir debout, il lutte contre un sentiment de vertige vertical, il lutte contre une chute potentielle, il se crispe, il se fatigue, il est épuisé, paradoxalement vidé, il ne peut plus penser, il attend. Il lutte contre le temps, le mouvement cette masse amorphe qui l’engloutit. Il déglutit, il a soif, très soif, il se raccroche à la rambarde mouvante, croyant qu’il a chuté, c’est une illusion, il ne chutera pas, c’est une illusion kinesthésique. Il chasse cette impression, il veut rester debout jusqu’au bout. Sa valise à roulettes finit par l’embarrasser, elle le désigne à leurs yeux -ceux qui viennent d’en face, ceux qui sont derrière lui comme Le Voyageur, le seul qui part ou qui revient d’on ne sait où héro potentiel de toutes les épopées, de tous les naufrages, rescapés du radeau de la méduse accroché à la rampe, Ulysse traversant les mers, Œdipe ou pourquoi pas Xerxès, …sur un tapis roulant avant d’arriver dans le grand hall où le chœur l’attend, pour lui conter sa tragédie, sa vie, son récit. Le chœur, se prépare souriant sur le tapis roulant, encourageant le poussant jusqu’au bout du périple.
Univers guidé par les sens, univers en mouvement, univers intérieur, illusion. Ulysse sur un tapis roulant. J’aime ces mondes réunis dans une gare.