Élaguer, toujours élaguer, depuis les ascètes qui se retirent dans les falaises de la mer morte au deuxième siècle avant Jésus-Christ au monastère de Qumran, les anachorètes qui s’installent dans des grottes, des trous dans le Mont Sinaï, comme Pacôme qui après une vie d’ermite crée le premier monastère dans la Thébaïde, c’est une recherche constante de la légèreté du dépouillement, cette «insoutenable» légèreté de l’être, il est facile d’en faire un fourre-tout, mal compris et mal vécu. Elle ne se touche pas la légèreté elle est une idée vaporeuse elle se voit et se sent parfois chez les uns,, rarement chez d’autres, elle a des semelles de plomb qui l’empêchent d’avancer au sens propre et au sens figuré, elle devient un appel pressant en ce moment. Oh! connaître et rencontrer les gens légers pour comprendre et racler les erreurs tellement ancrées si difficiles à dégager. La légèreté recherchée dans la guerre aux kilos est aussi une demande de décantation, parce que la légèreté est aussi nécessaire aussi vitale que l’eau. Un corps et une tête pas encombrée plutôt que les voix du Seigneur…Gérard est entré au petit puis au grand séminaire, avec sa fougue de jeune homme à vouloir sauver le monde, ce qu’il a vécu pendant trente ans, et puis Vatican II est passé par là, Léonardo Boff et Hélder Camara aussi, il est parti il avait rencontré Gisèle, assistante sociale, il a trouvé du travail à l’ANPE, les dix meilleurs années de ma vie, il a dit avant de mourir, la plénitude de la légèreté.
À chacun sa prison. cela fait bientôt dix ans qu’il est là. Quatre murs, il manque le ciel. il a déjà passé plusieurs caps depuis les débuts où même dans la cour on s’écartait de lui, il a fallu ruser longtemps pour découvrir le pourquoi, longtemps pour un début, pas d’amitié, de camaraderie. il a fallu ronger son frein, calmer les angoisses, s’il faut tenir, occuper le temps si long pour ne pas craquer, attendre les parloirs si souvent annulés, supporter les cris, les braillements ou hurlements des autres, assis dans l’ombre il se souvient de Saramago, «Il n’y a pas de consolation, mon pauvre ami, l’homme est une créature inconsolable» mais après cela, quoi ? Il n’a jamais eu le temps de lire, Dans un train, il avait trouvé celui-ci, il n’a pas retenu le titre , il a retenu que quelqu’un a écrit et lentement lui vient de demander papier et crayon. Sa première note, «La porte en fer s’est refermée sur moi». Une autre prison à ciel ouvert. elle a comme un bocal enserrant sa tête, elle tourne incessamment sur elle même en se cognant aux parois de verre, elle ne sort pas du rond-point et loupe toutes les sorties, cela fait quinze tours déjà, stop mais ça ne stoppe pas, il lui manque une clé. C’est sûrement qu’elle s’est trop confessée à l’école des soeurs, à force de chercher quel péché elle avait bien pu commettre, elle cherche tout le temps mais en rond. elle s’en rend compte, et invente d’autres chemins, lire beaucoup tout le temps mais en désordre, être folle, c’est ça, à force de taper sur le mur on enfonce la porte, mais elle avance comme en rêve, pas d’images dans la tête, des mots et les idées des autres fouillées, lues, relues, ça tape sur le dur du mur, ça ne cède pas, elle s’épuise, part ailleurs comme se laver la tête, revient mais repart, le médecin lui donne un médicament pour apaiser cette femme qu’il voit trop agitée, comme elle est bien tout à coup, ceux qui sont toujours de bonne humeur, légers à vivre, s’ils sont toujours comme ça ? je comprends, comme je suis bien mais pas longtemps, ce n’est pas une clé qu’il faudrait mais le trousseau entier.
La boussole de Mathias Enhart ! c’est la boussole qui lui manque; sans boussole elle avance à pas de fourmis elle a perdu, perdu tant de fois mais malgré les accidents, malgré les morts, rien ne l’arrêtera, chemins de traverse, mauvais sens, erreurs de jugements, maladresses, sa boussole indique l’est, alors elle tourne les cartes routières dans tous les sens mais toujours a surgi ce petit bout de ciel bleu qui dit c’est là, vas-y.
Aime beaucoup la photo, possible d’en connaître la source ?
Intérêt tout particulier pour le premier paragraphe, sans doute pour cette progression au sein même du fragment qui fait bien ressortir cette « plénitude de la légèreté ».
Merci, Alice. La photo est «L’homme qui marche II .1960.» de Alberto Giacometti et merci mille fois de ton commentaire.
Je fais la connaissance grâce à toi de Léonardo Boff et Hélder Camara (et sa description dans Le Pendule de Foucault). Mais au-delà, tous ces extraits sont en route et ils ont une direction, avec ou sans Matthias Enarht, le grand frère de tous les voyages. Bon vent Simone !