Au sol, du béton dur, froid, blanc, quelques globes de mousse. L’homme suit la ligne, jeté là.
Respire, laisse tes épaules retomber. Décoince. Retrouve le volume. N’écoute pas ces rumeurs, ce cri — On dirait la mer — N’essaye pas de t’y joindre, ferme tes oreilles et avance. Demain est un autre jour, tu verras au delà du blanc, ne pense pas à demain. Ne laisse pas le moteur se mettre en marche, surtout pas. Pense aux nuages ton coeur bat c’est formidable — Il bat quoi au juste?— Ta gueule — Je t’aime — Non — Je t’aime — Arrête — Ecoute-moi je t’aime et te dévore regarde autour de toi cette vase absurde, regarde en toi là où j’ai déposé un secret friable et luisant — Friable et luisant… n’importe quoi — Souviens-toi des ombres avides au temps des parois blanches de ta chambre. Tu les sens remonter? — Les nuages, penser aux nuages, leur tendresse — Ne crois pas que tu sortiras solide de cette putain de ligne qui va t’attraper parmi les foules qui va te bouffer qui va t’anéantir — Ta gueule — Sors le couteau de ta poche — Non — Sors-le — Non, ouvre les yeux maintenant.
*
Au sol, voilà des grains de sable fins, de ceux qu’on caresse machinalement et dont la douceur trouble jusqu’au bas ventre. La mer silencieuse plie et déplie un horizon clair turquoise. Quelques rochers couverts de mousse ponctuent l’eau et les parages de l’homme blanc jeté là, en plein soleil. Deux êtres robustes à la peau huileuse l’observent du haut de la falaise qui enceint la crique.
Tout autour de lui et à perte de vue, sur un large bras de terre rousse, une frise chronologique vivante se déploie. Plus il avance, plus le temps remonte. Sous le ciel ocre, il regarde s’animer à droite et à gauche du chemin des scènes de vie quotidienne, résidus d’époques, ou du moins ce qu’il en a retenu, vu, lu; clichés, costumes, attitudes, musiques. Tranquille, il ne sait pas qu’il rêve. S’approchant des heures grises de la Terre, le voilà dans une minuscule cuisine. Il doit poser le nourrisson blanc hurlant dans ses bras sur une plaque électrique brûlante.
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Au sol, le bois couine dès qu’on le regarde. Dessous vit une famille venue d’Algérie. Dessous s’embrassent une fille et un garçon. Dessous dort une femme qui travaille à l’hôpital. Dessous s’éteint un vieux barbu à la peau grise. Dessous s’alignent des caves grignotées par les rats. Dessous vibre un cimetière bétonné, des momies, des trésors. Dessous sommeillent à jamais les carcasses des requins et les yeux des poulpes. Les voitures se font plus rares. Derrière la fenêtre, la mer garde encore la mémoire du soleil, disparu derrière les collines. Elle raconte la fureur d’Achille: la nuit mérite aussi qu’on l’écoute. Il observe ses gestes, y reconnait l’attente. Il caresse son visage juste pour le voir se détendre, fermer les yeux et sourire. Son sourire lui offre le repos, sécurise tout l’espace. Elle éteint pourtant. Il voudrait qu’elle reste jusqu’à ce qu’il s’endorme, il supplie. Elle dit qu’à son âge il n’a plus besoin d’elle le soir. Elle n’y croit pas elle-même.
Expérience étrange d'écriture, je ne sais pas trop ce que je fais dans ce parcours "faire un livre", impression de manquer de tout, d'abord de de bords, d'appuis, de clarté, d'élan, enfin je suis déroutée, mais assez tranquillement, grâce au groupe peut-être, déroutée aussi par le fait que je ne me résigne pas à ne rien écrire du tout. Etrangement, il y a toujours un petit quelque chose à tricoter.
pour moi magnifique découverte que vos textes
Un peu désarçonnée par le premier passage, où c’est comme si quelques phrases ne collaient pas. Mais bien embarquée ensuite. J’ai aimé notamment le dernier et cette longue descente jusqu’aux animaux sous-marins. Et puis la suite aussi. Une forme de douceur nocturne et aquatique.