« Il ne sait pas que les pavés du quai qu’il est en train de quitter savent tout du passé mais connaissent aussi l’avenir. »
Les pavés du quai dorment ici depuis des siècles. Allongés, alignés, soudés, colmatés, ne faisant plus qu’un, sur une surface qui s’étend à perte de vue et qui se prolonge dans les moindres recoins du port, des entrepôts, des jetées, des lieux de chargement et de déchargement des bateaux, des camions, des wagons. Au fil des siècles, depuis qu’en ce lieu les bateaux de tous horizons déchargent leur richesses, leurs histoires, leurs légendes, leurs croyances, ces pavés portent les espoirs des nouvelles âmes et libèrent les fardeaux des déserteurs. Ils sont les douaniers de toutes les formes de vie qui parcourent leur dos.
Dans des temps immémoriaux, lorsque le magma terrestre a lentement cristallisé pour devenir roche plutonique, un souffle venu l’espace a envahi les lacs de laves de notre planète incandescente. De ce hoquet stellaire, de cette expiration cosmique, les roches en fusion ont reçu pour mission de veiller sur la Terre. De quartz en amphiboles, de feldspaths en micas, les granites du monde entier ont hérité de ces pouvoirs magiques.
Lorsque, sur le quai du port, deux amoureux s’embrassent, l’onde bienfaitrice du granite rose des carrières d’Assouan les envahit pour que le fruit de leur amour soit l’élu, l’appelé, le héraut.
Lorsqu’un enfant du pays s’enfuit sous d’autres cieux, les vibrations du granite rouge excavé des grottes de Barabar lui promettent aide et assistance dans sa nouvelle quête.
Enfin, lorsqu’un étranger y pose ses pieds, au débarquement d’un bateau venu du bout du monde, les pulsations du granite bleu issu de la vallée de Cochamo lui offrent une armure invisible et protectrice, et teintent son coeur de couleurs bienheureuses.
Il se dit, sans qu’aucun être vivant n’eut jamais les moyens de l’affirmer, qu’au seuil de la nuit, lorsque l’ultime rayon vert colore le point couchant de l’horizon, là où la mer et le ciel se confondent dans le lit du soleil, le temps s’arrête pour que les esprits des granites se rassemblent. Ils y conversent pour s’assurer que le monde des rêves soit toujours à leur portée. Ils entendent les battements du coeur de la ville toute proche, il écoutent les espoirs portés par le vent du large, ils vérifient que chaque rêve ait bien un costume à sa taille. Alors, et seulement alors, les fictions se muent en réalités.
Et avec les premières lueurs de la nuit, la vie reprend son cours.
Sur le quai, dans le port. Jusqu’à la plus petite ruelle de la ville.
Note : A la toute fin de ma #L2, j’ai retrouvé cette phrase : « Il ne sait pas que les pavés du quai qu’il est en train de quitter savent tout du passé mais connaissent aussi l’avenir. » Equipé de ma loupe expansive signée Claude Simon, je me suis glissé dans la brèche. Doutant fort m’être attaché à la consigne telle qu’énoncée par François mais animé par un irrésistible désir d’écrire une histoire (j’aime la narration), ce texte est ainsi sorti de mon esprit fatigué (oui, peu dormi). Ma loupe, mon microscope, c’est l’imaginaire, des contes aux mondes oniriques, par là même où Moebius, Lewis Carroll ou encore JRR Tolkien se sont invités dans ma #L4. Si le coeur vous en dit, voici les liens de ma suite livresque : #L1, #L2 et #L3. Bizarrement, avec ce dernier texte, j’ai l’impression de savoir où je vais…
de la poésie, de la fusion, c’est bouillant!
Merci Isabelle. La poésie, ou plutôt son inspiration aurait-elle besoin de chaleur pour pousser ?
merci… c’est beau et bon comme (presque puisque pas même;) Simon et je crois que ça m’a donné la voie
J’aime beaucoup ce conte! Et j’aimerais en découvrir plus, de la magie de ces pavés…
Très poétique, cette vision des pavés, je ne les regarderai plus jamais comme avant ! J’ai été sensible aux couleurs de la pierre qui se pare de nuances insoupçonnées. Et je me dis aussi qu’il doit y avoir encore un autre monde sous ces gardiens de pierre…
Merci. L’idée d’un autre monde sous ces pierres est assez séduisante…
Cela se sent que tu commences à savoir où tu vas et où tu vas nous emmener. J’espère être du voyage !
Je te rassure, je ne sais pas où je vais. Et c’est pas plus mal…