Tous les matins elle faisait un choix important, celui d’une injonction qu’elle s’adressait avec beaucoup de sérieux, avant de partir à l’école. Elle ne partait pas sans l’avoir formulée à voix haute à son ange gardien tapi dans le petit cagibi attenant à la chambre. La bonne tenue de la journée en dépendait. L’idée était que si elle exécutait correctement cette injonction, sur le trajet la menant à l’école, tout allait bien se passer. Sinon elle n’aurait qu’à s’en prendre à elle-même. Il y avait donc les jours avec et les jours sans. Les jours où la consigne était facile et les jours où le challenge était corsé. Les jours faciles elle devait mettre un bout de papier sans écriture dans la boite aux lettres de tel numéro – il lui est arrivé de ne pas en trouver – ou bien elle décidait de ne marcher que sur les lignes gravées dans le béton du trottoir, ou de ne pas marcher sur ces lignes, de rester sur la bordure du trottoir sans tomber dans le caniveau, de marcher en sautant un carreau sur deux ou en jouant à la marelle Terre-Ciel chaque fois que c’était possible, de compter le nombre de plaques en cuivre sur lesquelles étaient inscrit les mots sonnez svp, ceux où c’était frappez svp et d’autres consignes encore dont elle n’était pas avare. Il y avait aussi les jours où l’enjeu était plus grave, quand il y avait les compositions* par exemple, alors la consigne était plus difficile. Ne pas parler pendant tout le trajet – elle n’était pas la seule à se rendre à l’école – sans se faire repérer, écrire à la craie blanche le mot rebelle – c’était le nom que lui donnait son pépé – devant la porte des immeubles dont le numéro se terminait par un zéro, appuyer au moins une fois sur une sonnette et aller se cacher, marcher à reculons entre deux lampadaires, pousser un cri devant les numéros se terminant par cinq, arriver la première devant l’école…. Et parfois ça marchait, il y avait corrélation …
*On appelait ainsi les contrôles
Cette jeune fille rebelle savait déjà agir sur le réel pour le décaler…
Merci Claudine pour ce beau texte qui fait plaisir et sourire !
Une injonction comme une superstition. J’ai eu les miennes aussi de petites superstitions avant de me rendre à l’école
Plaisir de lire ces petites monomanies des enfants qu’on a tous pratiquées je pense…
Superbe composition que toutes ces corrélations qui font surgir maints souvenirs d’enfance, totalement oubliée, comme oubliée la vie à l’extérieur, les petits trajets quotidiens de l’enfance, la tête et l’air libre, merci Claudine !!
Merci de tous vos commentaires. J’entends que ce que j’appelle la pensée magique rencontre certains d’échos…