De tous les bouquins de Paul Auster, j’ai gardé le souvenir de cette voix qui me parle au plus profond de moi. J’ai dévoré Paul Auster mais je suis incapable de m’étendre sur ses livres. Il m’a parlé au creux de l’oreille jusqu’à ce que j’arrête par indigestion. Il a fallu que je demande à ce Monsieur de sortir de ma tête, ça en devenait gênant.
De La vie mode d’emploi (et autres) de Georges Perec, j’en ai gardé l’incroyable richesse narrative. Le livre en impose mais en un seul bouquin, j’ai lu des centaines de romans. Pas très original, surtout dans notre contexte puisque nous avons ouvert cet atelier au côté de cet auteur, mais ses écrits n’en restent pas moins vertigineux.
Du Garage hermétique et de tout ce qui est signé Moebius, je cultive le souvenir d’un univers onirique sans limite. Avec Miyazaki, pour ce qui est du du film d’animation, sans aucun doute. Je crois que le rêve éveillé, celui que je fais de façon consciente, leur appartient. Ou, si ce n’est pas le cas, ils s’y trouvent en belle place.
De La vallée (et autres albums) de Claude Ponti, je me souviens de l’ouverture d’une porte dans mon imaginaire. Lorsque je lisais ses livres à mes enfants, je voyais leurs yeux s’agrandir et nous avions tôt fait de partir en cavalcades dans les détails de ses histoires. Par contre, revers de la médaille, je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais réussi à les endormir avec cet incendiaire de l’imaginaire.
De La ville des prodiges d’Eduardo Mendoza, je garde l’expérience d’une lecture achevée. Tout est savamment dosé, jusqu’à l’humour bien sûr même si j’aurais pu aussi citer Le mystère de la crypte ensorcelé. J’ai lu ces ouvrages il y a plus de trente ans et l’alchimie, à mon sens, demeure un modèle. L’est-elle encore aujourd’hui ?
Des travaux de l’Oulipo, je garde précieusement quelques recettes pour dompter mon imaginaire. Où j’ai découvert que la contrainte était plus un moyen pour accéder à certains trésors de l’imagination que castratrice. De Queneau à Le Tellier, leurs explorations m’ont incontestablement enrichi. Me rendrai-je un jour aux jeudis de l’Oulipo à la BnF ?
Des écrits de Jacques Prévert, j’ai gardé le goût d’une poésie aux mots simples qui s’insinue partout, dans les moindres recoin de l’existence et de l’imaginaire. Partout, depuis les bancs de l’école primaire jusqu’au picorage on the web, « les enfants qui s’aiment s’embrassent debout contre les portes de la nuit… »
De L’étranger d’Albert Camus, je garde la puissance de l’absurde. « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » L’incipit est statufié voire sacralisé, c’est vrai, mais qu’aurait été ce livre s’il avait débuté autrement ?
D’Alice au Pays des Merveilles de Lewis Caroll, je garde l’envie d’explorer tous le chemins (en plus de regretter de ne pas être suffisamment doué pour le lire en anglais). « Voudriez-vous, je vous prie, me dire quel chemin je dois prendre maintenant? demanda Alice. Cela dépend beaucoup de l’endroit où vous voulez aller, dit le Chat. Cela m’est à peu près égal…, dit Alice. Alors peu importe le chemin que vous prenez, dit le Chat. … pourvu que j’arrive quelque part, ajouta Alice en guise d’explication. » N’est-ce pas là la plus belle des invitations ?
Du Seigneur des anneaux de John Ronald Reuel Tolkien, je garde la sensation d’avoir entraperçu les frontières d’un univers infini. Mais là, je suis obligé de rester à ma place de lecteur. Je ne puis envisager la position de l’écrivain, ou alors par fragments. Cette richesse me paraît vertigineuse…
De Notes on Camp de Susan Sontag, je garde la découverte qu’il existe un espace où l’on peut intellectualiser jusqu’à l’esthétique. Cet espace dépasse la littérature et même la culture en général. Un filtre qui nous permet de percevoir les ramifications d’une sensibilité dans les moindres recoins de notre vie et de notre imagination. De la mienne, en tous les cas.
Du Bateau ivre d’Arthur Rimbaud, je goûte chaque syllabe. Je me le lis souvent à haute voix et si je n’avais pas une mémoire de poisson rouge, je l’aurais appris par coeur et je promènerais partout cette centaine de vers au gré de mes divagations. Et de mes humeurs.
De La quatrième dimension de Rudy Rucker, lecture d’ado, je loue l’ouverture de mon imaginaire. Ce bouquin (plutôt de vulgarisation) m’a fait découvrir l’inépuisable univers de la science-fiction. Avec l’acception la plus étendue du mot science. Si j’étais en quelconque relation avec les forces divines, je bénirais cet homme.
Du Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes de Robert M. Pirsig, je garde une certaine définition de ce que le mot « culte » éveille en moi. Probablement pour l’aspect initiatique du propos. A dire vrai, je dois posséder d’autres livres dans ma bibliothèque pour remplir cette fonction mais c’est celui-là qui m’est venu en premier. Il doit bien y avoir une raison.
Enfin, du Guide du voyageur galactique de Douglas Adams, je garde la folie, mélange riche en couleurs de la science-fiction et de l’humour british. Je me promène souvent sur cette branche et j’avoue que je garde en mémoire le générique du film H2G2 the hitchhiker’s guide to the galaxy. « So long and thanks for all the fish », pour les initiés.
Note : Je suis bien conscient que cette « sentimenthèque » relève plus du trousseau de clés qui ont ouvert mon imaginaire que d’un inventaire des sentiments que j’ai découvert dans mes lectures, à la façon très érudite de Patrick Chamoiseau. Je dois vous avouer que pour venir à bout de cet exercice, je me suis trituré les méninges et que ces quelques lignes sont le résultat le plus honnête que j’ai pu distiller. Pour ma défense, il faut dire que ma culture littéraire manque de densité. Je lis certaines de vos listes qui m’épatent mais je n’en nourris aucune introspection désagréable. A dire vrai, ce qui m’a amené à l’écriture, c’est plus l’imagination que j’ai arrosée à l’eau de plusieurs sources, autres que les monuments littéraires que j’ai lus et les sentiments que j’y ai puisés. Mais je l’avoue, les réservoirs de mon énergie durable vouée à l’écriture manquent de contenance et de références.
Bien belle bibliothèque éclectique qui permet de voyager d’un bout à l’autre de la galaxie infinie des livres. Et vous n’êtes pas le seul à qui les livres parlent : moi, c’est très souvent, surtout quand le livre me plaît ! Mention spéciale aux membres de l’OULIPO à qui j’aurais pu faire référence dans ma propre liste, par exemple avec « Les Fleurs bleues » de Queneau. Et oui, se lancer dans le Seigneur des anneaux, c’est comme monter sur le radeau de la « rivière sans retour »… Bonne suite.
Zoé, je partage votre commentaire sur la liste de Jean-Luc. L’oulipo n’apparaît chez moi qu’en filigrane, avec Calvino, et j’ai dû me faire violence pour me restreindre à la dizaine, et ne pas mettre de science-fiction. Peut-être que j’aurais choisi David Brin (Uplift). Je m’en vais de ce pas dans un univers parallèle, découvrir votre sentimenthèque…
Deux mois après, je crois que ma bibliothèque a changé. Je crois que j’aime les listes éphémères.