Des Sept boules de cristal d’Hergé, d’envoûtements en aventures, fascination, sacrilèges, boules de feu, tourbillon de chaise, jeu de piste savant teinté de sourdes inquiétudes, de jurons en pagaille et de cette peur qu’une nuit d’orage surgisse aussi dans mon lit la momie vengeresse de Rascar Capac.
De Vingt ans après d’Alexandre Dumas, la tranche rouge de la couverture, la bibliothèque du fond de la classe, le mystère de l’œuvre d’avant qu’on n’a pas lue, pas su qu’elle existait et la joie de découvrir, trente ans après, que Georges Perec enfant (s’est-il trompé, lui aussi ?).
Du Village englouti d’André Besson, cette même bibliothèque du fond de la classe, chez Madame Schmidt à Montagny-les-Monts, les éditions Mon village, le surgissement catastrophique de la modernité dans la quiétude des campagnes, un barrage, une révolte, une église qui sonne le glas sous l’eau.
Des Misérables de Victor Hugo, le regard collé au livre, le corps à cœur des personnages, cet ouragan de phrases définitives qui hurlent dans le crâne, l’injustice – tout ça pour un quignon de pain – qui réveille la conscience de l’adolescent chétif dans son lit où il pleure à la mort de Jean Valjean.
De L’Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar, se regarder mourir, se sentir partir, vivre avec Zénon le sang qui fuit le corps, vertige ultime, ne garder en mémoire que les dernières pages d’un savant foisonnement dont le chef-d’œuvre est un suicide.
Des Agatha Christie (impossible de citer un titre précis, des quelques-uns retrouvés dans la bibliothèque, rien n’est resté, il serait temps de les relire), apprendre véritablement à lire, prendre plaisir à se faire avoir, jouer, tout est là, lire est un jeu auquel le seul vrai plaisir est de perdre, tout en laissant gagner Miss Marple ou Hercule Poirot.
Des Essais de Montaigne, se perdre dans la phrase, rêver une pensée légère qui se renverse à tout moment, assaisonner de latin ses errances domestiques, assister en direct à la naissance d’une vision autre du monde où perdre une dent c’est déjà mourir un peu.
De Derborence de Charles-Ferdinand Ramuz, la pierre et le drame, la montagne écroulée, le regard de l’aigle, si vif, et cette langue aux relents d’ici qu’on croit mimée aux écoles primaires, qu’on voit élimée aux pics vertigineux, qu’on entend marmonnée au fond des mazots couverts de neige entre le pain de seigle et le cadavre qu’on veille.
De La mort du jeune aviateur anglais de Marguerite Duras, un cri, cette dernière phrase – Et puis un jour, il n’y aura rien à écrire, rien à lire, il n’y aura plus que l’intraduisible de la vie de ce mort si jeune, jeune à hurler – une tombe, un homme debout devant cette tombe, une caméra, l’automne 2018 et ces trois-là qui se sont jetés sous le train.
De Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme, de Laurence Sterne, enfin conjurer la mort – révélation à la vue des livres précédents : tous ou presque trahissent une obsession de la mort – en attendant que naisse un héros facétieux dont on promet sans cesse les aventures futures, jeu – préférer le lire-jeu au lire-mort – du chat et de la souris, la souris, ce serait toi, lecteur.
L’oeuvre au noir m’interpelle… Je l’ajoute à ma liste (immense depuis ces quelques semaines d’atelier!)
Heureux de contribuer à rallonger cette liste… Chez moi aussi, ça devient immense, ce qu’il reste à lire.
Les Essais… Magie envoûtante des déambulations à sauts et à gambades, la liberté absolue, le livre III mon préféré.. Choc aussi de la découverte de son adaptation au théâtre, très réussie !
Oui, les Essais, et en effet le livre III, quand les sauts et les gambades s’allongent et que la liberté prend de l’ampleur. Par contre, je n’en ai jamais vu d’adaptation théâtrale.
et quelle lecture tu nous offres
Merci Caroline, je suis heureux d’être la voix qui ouvre le podcast Sentimenthèque.