Modifié tellement de fois, ne pas passer à côté de certaines choses trop importantes, s’interdire la posture. Ou quand on se rend compte que parler de la lecture peut être de l’ordre de la posture et donc de l’imposture, et qu’il faut gommer et creuser, creuser, creuser.
D’Alain Fournier : les amours adolescentes, l’aventure, la Fête étrange, les couchés de soleil rose orangé qui éclairent le grès d’une gentilhommière abandonnée de mon bourbonnais natal. Et la révélation que l’amour ne résout pas forcément tout, qu’il échoue à détourner Augustin de l’aventure. Et pour les fins douces-amères.
De Bukowski : l’énergie vitale, les pulsions de morts, l’humour. De Factotum, le courage de se foutre d’avoir un métier, considérer qu’il n’y a pas de valeur travail autre que celle qui rémunère. Qu’on travaille uniquement ce qu’il faut travailler.
Des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar : la confusion entre Histoire et fiction, et que c’est sans doute pour ça que j’aime l’Histoire et les histoires, les amours d’Hadrien et d’Antinoüs qui servent de prétexte à l’exploration de l’Empire romain sous le règne d’Hadrien, à moins que ce ne soit l’inverse.
D’Umberto Ecco : l’invraisemblable pour forger les mystères, les croyances et les peurs, explication substitutive à ce qu’on n’explique pas, le frère Salvatore, tour de Babel en chair et en os, Borges qui n’est pas très loin, et tous les autres faussaires, déambuler dans le Paris alchimique. Et ce qu’Ecco appelle l’image séminale, la première pour lui sera celle d’un moine copiste mort sur son écritoire dans un scriptorium
Des Bienveillantes de Jonathan Littel : l’horreur dans son tout, l’énergie créatrice humaine employée à la pire des abjections : détourner les yeux des tortionnaires de l’horreur pour qu’ils puissent réussir à continuer de la commettre
De Huysmans : les détails de l’ennui, celui qui pousse à chercher la nourriture qui ne peut pas rassasier, l’absolu qui est décevant, la corde et l’église, la croix inversée, le sacré et l’occulte dans les cloches
De Donna Tartt : les garçons paumés qui suivent leurs pas vers ailleurs, un tableau, les mystères de Dionysos
Des Chroniques de l’oiseau à ressort de Murakami : les fantômes qui sortent du béton, la nuit sous les néons, le jour sous le soleil, dans les rêves, dans les têtes, sur la frontière sino-mongole pendant la seconde Guerre mondiale et l’homme répugnant avec lequel il faut composer, gros, sale, chauve, souriant, mal habillé qui s’introduit chez vous et vient piquer dans le frigo et raconter des histoires sur sa femme qu’il aimait battre.
De Gagner la guerre, Janua Vera, Le sentiment du fer de Jean-Philippe Jaworski : l’imaginaire, la Fantasy, les personnages trop creusés pour être archétypaux, la langue qui change d’une nouvelle à l’autre, les innovations sur ce qui fait la magie. De Gagner la guerre, les scènes d’action, la bagarre, les dissertations sur la technique du sfumato, la langue encore, celle du narrateur, ce sale type de Benvenuto qu’on finit par apprécier, mais aussi le dialecte de la Guilde des chuchoteurs, avec des inventions issues de l’argot français, compréhensible par la sonorité. Plus que de la simple Fantasy
De Volodine : écrire à la place de Dieu entre la vie, les idéaux, les chamanes, après l’humanité, comme ça vient. Être un et plusieurs écrivains.
De Borges : le mystère qui vogue sur les millions de pages qui se tournent depuis l’Écrit
De Raymond Carver : la recherche de la langue simple et précise, les histoires courtes, l’angoisse, le malaise créé en quelques mots. Des Feux, ce qu’il cherche dans l’écriture et pourquoi, par qui, et ce poème sur la rencontre entre ses élèves et Bukowski
De L’assassin royal de Robin Hobb : le volume de l’histoire, lire une friandise, un héros masculin sensible, pris entre ses principes, ses désirs, et ses obligations. Et les bagarres. Et des dragons
De Fief de David Lopez : l’ennui dans les petites villes de Province, ni assez urbain, ni assez rural pour se définir, les dialogues insérés dans le corps du texte, la référence inévitable à mon adolescence
De La pornographie de Witold Gombrowicz : le moi et l’autre, ce que je n’assume pas, que je fais assumer à l’autre, le divertissement nécessaire, involontaire, inévitable qui prend le pas sur le pire.
Merci pour cette bibliothèque haute en couleurs : j’y retrouve avec plaisir l’univers onirique du Grand Meaulnes, avec d’autres détails que j’avais oubliés. Et puis Carver qui me fait penser à Edouard Hopper pour ses atmosphères pesantes où le non-dit a la part belle (« Les trois roses jaunes », par exemple). Envie de lire Bukovski pour sa belle énergie et Robin Hob, pour les dragons…
Merci beaucoup pour le commentaire Zoé! Oui, je recommande vivement Bukowski et Hobb! Je n’avais jamais trop fait le lien entre Carver et Hopper, alors qu’il y a là une espèce d’évidence! Merci en tout cas