- De Sophocle Tragédies, jamais loin de moi ce recueil, petites épaules pour univers trop grand et chante le coryphée, chante, dis ce que tu vois lorsque nous sommes aveugles ou sourds, lorsque les corps se débattent et le monde qui (s’)abat
- De Rahimi Syngué sabour, de la parole comme libération de toutes les violences, dire, dire, dire même si, seule la mort écoute
- De Jodorowski L’arbre du dieu pendu, pour l’écriture qui autorise la magie, qui invente une généalogie, qui enracine, travaille la terre, fait germer, peuple les vides
- D’Orsel La nuit des terrasses, car suffit une table, bancale même, quelques miettes dessus, un verre dessus, des voix de quelques mots autour et se transfigurent les décors de nos vies
- De Cheick Amidou Kane L’aventure ambiguë, d’affronter, de grandir, de chercher, de puiser
- De Bear La musique du sang, parce que tout se passe à l’intérieur, imperceptible alors faut-il écouter les bruissements, tendre l’oreille, veiller, prêter attention
- De Yuknavitch La mécanique des fluides, écrire sauve, écrire, écrire, écrire, écrire fait advenir au monde d’autres paysages
- De Neale Hurston Mais leurs yeux dardaient sur dieu, une autre langue, du petit monde invisible, pour dire le grand et la beauté qui parfois se cache sous la violence, la faim, la sueur
- De Condé Moi, tituba sorcière, abritons-nous au pied du manguier, cueillons les herbes folles, et même si la haine enfantera encore, un jour savourer la mangue, boire la tisane, même s’il ne reste plus que cela, une guérison reste possible
- De Savitzkaya Exquise Louise, s’étonner de tout, s’émerveiller de rien, tout est permis avec une plume. Si jamais un jour je le voulais je pourrais m’envoler sur une brosse à dent qui laisserait sur son passage des couleurs qu’aucun œil n’a encore compris puis plonger dans un océan de méduses qui me raconteraient la transparence des âmes
- De Inoué Le maître du thé, patience, patiente vois-tu, parle à l’absent c’est peut-être à cet instant même qu’il te dévoilera ses secrets
- De Palliser Le quinconce, pages comme une bible, chemins sinueux, gourmands, savamment sombres et se dire qu’il faudrait tout recommencer. Ne pas tout dire au lecteur, le laisser se perdre
- [De Littell Les bienveillantes, parfois il faut aller au bout d’un livre pour ne pas se tromper de sentiment. Détestation ici. Tout peut être écrit à coup sûr, mais ce malaise, cette écriture vécue comme malsaine, son goût amer est resté.]
Codicille: Déstabilisée par une sentimenthèque. Les sentiments, oui déstabilisent parce qu’ils mettent et le corps et l’âme en mouvement. Pourtant, le premier mouvement ressenti est celui-ci d’un ego mal placé. Artaud, Beckett, Chamoiseau, Faulkner, Kafka, Michaux, Perec, Ponge, Proust, Sekiguchi ne m’ont pas ouvert leurs pages – quand la conjugaison dédouane – et alors ? Les sentiments de la lecture, les miens, intimes, singuliers ou universels, je les connais. Je les ai senti. Sentir, justement. Quels livres – quelle littérature ? – ont déposé en moi ce mouvement particulier qui fait sentimenthèque. Quel sentiment, quelle sensation ? Mouvement intérieur, élan, tremblement ? Il y a longtemps je crois, j’ai choisi le mot poésie pour ce sentiment. Quand me vient la nécessité de lire avec les oreilles. De mettre dans ma bouche des mots lus, ces phrases posées sur le papier. Un sentiment qui passe par l’oralité. Entendre. Pas seulement imaginer, se représenter. Entendre. Représentation sonore.
J’assistais il y a peu à deux spectacles. L’un était un concert d’un artiste aimé de longue date, Tigran Hamasyan (l’écoutant là maintenant pour la justesse du sentiment. Ecoutez vous aussi et peut-être vivrez quelque chose rien qu'à vous), l’autre une expérience « Es lo contrario », ni théâtre, ni concert, autre chose, qui se vit les yeux bandés [un groupe humain dans le noir (spectateurs) entouré de tous côtés, cerné par la scène, écoute un groupe humain dans le noir qui se cherche, se parle de loin en loin, se tient du bout des doigts, entend des sons autour (nous aussi mais chacun.e seul.e), s’inquiète, un enfant qui lui seul peut voir, joue puis pleure, affole le groupe, et le bruit de feuilles, de pas, de vents peut-être venant de la mer, et les instruments construisant un horizon où la tragédie ne peut que survenir. No spoil].
A chaque fois cette même sensation, comme une palpitation, des oreilles jusqu’au ventre. Un soubresaut de l’âme qui perçoit un monde autre ou le monde autrement, parce que les sens sont bousculés. Ce que j’aime appeler la poésie. Voilà ce sentiment de joie viscérale que j’aime à retrouver dans les livres quand s’impose de dire à voix haute ce mot, cette phrase, ce paragraphe. C’est cela le guide de ma sentimenthèque.
Ah ouais, codicille indispensable pour cet exercice-là ! Pour entrer dans la vibration particulière des textes dont tu parles, vibration personnelle au corps de Rébecca, certes, mais on a envie d’aller y voir… Merci et bravo !
Au début naïvement, je me disais « et si je retenais un livre de chaque sentimenthèque proposée ici » mais je réalise que nous sommes tant que ce serait l’exercice d’une vie. Merci en tout cas de t’être arrêtée ici Isabelle 🙂
Très vif, danse et sympathique
Merci pour la musique… Où l’on vous imagine bien courir à l’aube portée au corps, et le livre sur les terrasses et les miettes et les verres dessus… Bravo
Mais oui, c’est bien moi ça, merci Françoise de m’avoir reconnue 🙂
Merci d’avoir cité Eugène Stavizkaya que j’aime et beaucoup d’autres que je vais essayer d’aller lire grâce à votre texte si vivant.
Je n’ai encore rien lu d’autres de Stavizkaya… Tu me conseillerais un livre en particulier Roselyne?
Là on est pris, par la liste si incroyablement enluminée et par les commentaires rageurs et doux, qui offrent la musique et la boussole, quel cadeau…
La musique toujours, m’est indispensable, partout (je réponds aussi à votre commentaire sur la rythmique. C’est quasi obsessionnel chez moi je crois. J’ai écrit un recueil de textes l’année passée. Il s’appelle « 1.2.3 »…, ça ne s’invente pas! 😉 )
Whaou, interjection dérivée de « oui », « ouais », « mazette » s’emploie généralement verbalement ou de façon familière sous la forme exclamative pour exprimer une émotion positive soudaine, un sentiment de surprise et de satisfaction à la fois.
Exemple : Whaou ! Quelle classe la peinture de ta Sentimenthèque, c’est de la poésie tes mots.
On y est en littérature là. Pas de doute Rebecca. Et merci pour ce moment de lecture jubilatoire.
Merci Camille! Hâte de découvrir la tienne 🙂
Grand grand merci pour cette sentimenthèque et son codicille à fleur de peau : c’est parlant, tout cela, (vivant, je veux dire) et, perso, ça me donne furieusement envie de replonger dans les livres & les musiques & les images qui ont, sans le savoir, fait vibrer ma petite corde intérieure ! Grand grand merci, oui !
Oui, je crois qu’il y a un grand Tout, fait de musique, images, mots: pas si facile de n’extraire que les livres…
Bon bah, j’ai noté plein de références !
Et ton codicille ! J’ai adoré !
Merci !
A la fin de l’été, nous aurons chacune, chacun, quelques kilos de références pour nourrir toute l’année à venir 🙂 Merci Lamya