#L3 Voix intérieures

Voix intérieure 1

Cette femme est belle en face de moi — On s’est installés en face d’elle — On dirait qu’elle dort — Mais moi je sais qu’elle a pas de sommeil — Que son sommeil est faux — Il est pas vrai — Elle fait pas semblant — Elle est juste prise entière par son manque de sommeil — C’est tout — C’est pas la question de faire semblant ou pas — Tout entière elle est prise et bien — D’ailleurs ses yeux s’entrouvrent — Par saccades — Avec les petits bonds durs du train — Son sommeil c’est pas du vrai — Je veux le dire à maman — Mais j’ai peur de lui parler — Elle va me dire tais-toi — Laisse dormir la belle dame — Reste tranquille — Elle va m’empêcher de parler de la femme — Alors je ne peux que regarder — Et fermer et ouvrir les yeux — Par saccades — Moi aussi — Peut-être que la femme elle a envie de dormir — Moi je crois qu’elle se laisse pas aller — Elle va pas y arriver — Elle fait pas semblant de dormir — La belle femme est juste prisonnière du manque de sommeil — Moi j’ai pas sommeil — Je suis tout à regarder — J’ai envie de desserrer mon col — Il fait trop chaud — Maman me laissera pas faire — Pas enlever ma cravate — J’ai envie de pleurer un peu — Je sens mes petits cris arriver — Je m’amuse pas serré dans mon veston — Trop de chaleur dans ce voyage — La belle femme a les cheveux en chignon — Relevés avec une barrette — Je veux les caresser — Les toucher comme la laine — Je vois qu’elle a gardé les yeux un peu ouverts — Des fois elle me voit — Avant de refermer les yeux — Je sais — Elle est fatiguée — Peut-être — Je veux demander à maman — Mais j’ai juste les gémissements — Je préfère ne pas dire — Cette femme est belle en face de moi — Je pense à la madone du livre d’images — Est-ce qu’elle va dormir à la fin — Non elle va rester prise — Je sais — Le train  continue à rouler — On fait tous des petits bonds avec les roues qui crient et sautent — On dirait seulement qu’elle dort — Elle transpire un peu — On peut voir qu’elle est prise — Par un manque de sommeil


Voix intérieure 2

J’aime bien cette heure-là — Le soleil beau quand il rase les monts — De près — Se laisser prendre par les rayons — Par la lumière qui a déjà baissé peu à peu — Encore un peu de la grosse chaleur du jour — Si j’allais au bar de l’hôtel — Tout à l’heure — Boire un pastis — Une mauresque plutôt — Mais j’aime bien les rayons —  Juste là — qui s’enfournent dans les rues — Je vais rester encore un peu — Là où je suis — À la porte de ma maison — À côté de mes pots de fleurs — Géraniums assoiffés — Pieds d’alouette — Lavande desséchée — Faudrait un peu d’eau — Quand j’aurai bu un coup moi — Moi j’aime vraiment ce moment — Du soir — Je suis bien placé — Au coin des deux rues et de la place — J’irai boire avec un ou deux potes — Sûr qu’ils seront là — J’attends la baisse des rayons — C’est beau ces monts autour de la bourgade — C’est chez moi — Je partirais pas — J’aime pas la grande ville — Là-bas à l’angle de la rue de la gare — Tiens, une femme arrive — Un sac en bandoulière — Un sac à dos aussi — Je la vois pas bien — Je distingue pas ses traits — On dirait qu’elle est crevée — Elle marche doucement — On dirait qu’elle a mal — Elle se trouve à cet endroit où il reste un peu de terre battue — Allez, je vais boire mon coup


Voix intérieure 3

On voit pas grand monde — De nouveau, je veux dire — Mes clients je les connais — Toujours les mêmes — Café le matin — Tartines — Calva — Œuf dur au casse-croûte — Un coup de rouquin — Des bières pression — Suze ou pastis à l’apéro — Un kil de rouge à table — Les ouvriers du chantier — Ils auront bientôt fini la rambarde — Les pochetrons du coin — Eux ils travaillent pas — Le chômage et la côte-du-rhône — Toujours fatigués — L’intello du bled — Chercheur il dit — À tout le monde — Il cherche quoi — Il boit du thé dans la matinée — Ça fait un bail que j’ai pas vu de nouveaux clients — À part des voyageurs de commerce — Toujours pressés — Hop sur le pouce — Pas causants —  Les taiseux moi je supporte — Un jour ici — Un jour ici — Un jour là — Un jour là — Une chambre s’il vous plaît — Simple — Ça prend pas racine — Cette engeance — Avant la nuit, il va faire encore chaud — J’attendrai pas longtemps — Mes clients du soir — Bières — Pastis ou Suze — Il y a eu plus de monde — Dans le temps — Perroquets tomates feuilles mortes — Celle-là c’est pour moi — J’ai parlé trop vite — Qui est cette femme qui approche — Vers la fontaine — Elle va s’abreuver — Se rafraîchir peut-être — Qu’est-ce qu’elle avance doucement — Elle dépose ses sacs — Contre un des bas-reliefs du bassin — Un long mouvement fatigué — On dirait — Oui elle met ses mains en coupe — Elle boit l’eau — Non potable il paraît —  Ferait mieux de venir par ici — Elle a repris ses bagages — On dirait qu’elle vient par ici — Une chambre peut-être — Elle a l’air fatiguée — Elle traîne des pattes — Racle le sol — Oui — Elle vient par ici — Elle cherche une chambre — Moi je veux bien — J’en ai moi des chambres — Pour la nuit — Pour plusieurs — Pourquoi pas


Voix intérieure 4

J’en ai ma claque de bosser dans cette étude — Je vois jamais rentrer les gosses de l’école — Je sais qu’ils font leurs devoirs — Mais c’est pas pareil — Je m’occupe mal d’eux — Je sors toujours à pas d’heure — Un bail de location à six heures du soir — J’ai pas pu refuser — C’était trop tard — J’avais déjà quasi dit oui — Je l’ai fait — Maintenant il est sept heures — Bientôt passées — Ils abusent les patrons — Ils me prennent pour une bête de somme — Plus bête tu meurs — Je dis toujours oui — Et c’est qui la dernière partie — Toujours moi pour fermer — Il a fait chaud aujourd’hui — Encore — Ça fait un moment que ça dure — Au moins une semaine — Ce week-end, c’est montagne pour tout le monde — Au moins avec les gamins — Il ne voudra sûrement pas venir — Si au moins il s’occupait de la maison — Toujours fourré au bar de l’hôtel — Toujours de beaux prétextes — Bon, il faut que je ferme la boutique — C’est pas tout ça — D’abord les fenêtres du fond — Finir par la vitrine à allumer — Pour la nuit — Pour chaque nuit — Les annonces notariales —  Les immobilières — Qui va s’arrêter pour les lire après sept heures — Pas un chat — Ça y est je ferme la porte — Lourde — Là-bas une femme — Elle vient de la fontaine — Elle va vers l’hôtel — Pas la terrasse — Le perron — Elle est chargée — Je ne l’ai jamais vue — Elle est nouvelle dans le bourg — A dû arriver à la gare — Tout à l’heure — L’hôtelier la reçoit — Ils parlent brièvement — Elle est courbée sous ses sacs — Elle suit le taulier dans le hall — Je rentre à la maison — C’est pas trop tôt

A propos de Fil Berger

Fil Berger, je, donc, compose les textes qu’il écrit avec des artefacts sonores et graphiques et ses pièces musicales avec des artefacts d’écriture et graphiques. Le tout cherche, donc, une manière d’alchimie modeste située entre ces disciplines. Il a publié des livres d’artiste avec le plasticien Joël Leick chez Æncrages et Dumerchez. Quelques revues comme Paysages écrits, Traction Brabant ont retenu des textes. Il a travaillé et composé des pièces musicales documentées sur CD. Il a partagé pendant plus de vingt ans des moments de création avec des chorégraphes, des plasticiens, des auteurs, des improvisateurs et des compositeurs. Il a animé des ateliers d’écriture et de partitions graphiques avec des personnes de toutes sortes. Fil Berger, je, donc, est un improvisateur qui compose et performe en forgeant ses propres outils, ses champs lexicaux, ses instruments, sa présence au monde en les mettant sans cesse en variation continue. Son travail est la recherche de convergences multiples entre... l’idée et la pratique du « baroque » et... la pratique et l’idée de l’insurrection « œuvrière » autonome.