Voix intérieure 1
Cette femme est belle en face de moi — On s’est installés en face d’elle — On dirait qu’elle dort — Mais moi je sais qu’elle a pas de sommeil — Que son sommeil est faux — Il est pas vrai — Elle fait pas semblant — Elle est juste prise entière par son manque de sommeil — C’est tout — C’est pas la question de faire semblant ou pas — Tout entière elle est prise et bien — D’ailleurs ses yeux s’entrouvrent — Par saccades — Avec les petits bonds durs du train — Son sommeil c’est pas du vrai — Je veux le dire à maman — Mais j’ai peur de lui parler — Elle va me dire tais-toi — Laisse dormir la belle dame — Reste tranquille — Elle va m’empêcher de parler de la femme — Alors je ne peux que regarder — Et fermer et ouvrir les yeux — Par saccades — Moi aussi — Peut-être que la femme elle a envie de dormir — Moi je crois qu’elle se laisse pas aller — Elle va pas y arriver — Elle fait pas semblant de dormir — La belle femme est juste prisonnière du manque de sommeil — Moi j’ai pas sommeil — Je suis tout à regarder — J’ai envie de desserrer mon col — Il fait trop chaud — Maman me laissera pas faire — Pas enlever ma cravate — J’ai envie de pleurer un peu — Je sens mes petits cris arriver — Je m’amuse pas serré dans mon veston — Trop de chaleur dans ce voyage — La belle femme a les cheveux en chignon — Relevés avec une barrette — Je veux les caresser — Les toucher comme la laine — Je vois qu’elle a gardé les yeux un peu ouverts — Des fois elle me voit — Avant de refermer les yeux — Je sais — Elle est fatiguée — Peut-être — Je veux demander à maman — Mais j’ai juste les gémissements — Je préfère ne pas dire — Cette femme est belle en face de moi — Je pense à la madone du livre d’images — Est-ce qu’elle va dormir à la fin — Non elle va rester prise — Je sais — Le train continue à rouler — On fait tous des petits bonds avec les roues qui crient et sautent — On dirait seulement qu’elle dort — Elle transpire un peu — On peut voir qu’elle est prise — Par un manque de sommeil
Voix intérieure 2
J’aime bien cette heure-là — Le soleil beau quand il rase les monts — De près — Se laisser prendre par les rayons — Par la lumière qui a déjà baissé peu à peu — Encore un peu de la grosse chaleur du jour — Si j’allais au bar de l’hôtel — Tout à l’heure — Boire un pastis — Une mauresque plutôt — Mais j’aime bien les rayons — Juste là — qui s’enfournent dans les rues — Je vais rester encore un peu — Là où je suis — À la porte de ma maison — À côté de mes pots de fleurs — Géraniums assoiffés — Pieds d’alouette — Lavande desséchée — Faudrait un peu d’eau — Quand j’aurai bu un coup moi — Moi j’aime vraiment ce moment — Du soir — Je suis bien placé — Au coin des deux rues et de la place — J’irai boire avec un ou deux potes — Sûr qu’ils seront là — J’attends la baisse des rayons — C’est beau ces monts autour de la bourgade — C’est chez moi — Je partirais pas — J’aime pas la grande ville — Là-bas à l’angle de la rue de la gare — Tiens, une femme arrive — Un sac en bandoulière — Un sac à dos aussi — Je la vois pas bien — Je distingue pas ses traits — On dirait qu’elle est crevée — Elle marche doucement — On dirait qu’elle a mal — Elle se trouve à cet endroit où il reste un peu de terre battue — Allez, je vais boire mon coup
Voix intérieure 3
On voit pas grand monde — De nouveau, je veux dire — Mes clients je les connais — Toujours les mêmes — Café le matin — Tartines — Calva — Œuf dur au casse-croûte — Un coup de rouquin — Des bières pression — Suze ou pastis à l’apéro — Un kil de rouge à table — Les ouvriers du chantier — Ils auront bientôt fini la rambarde — Les pochetrons du coin — Eux ils travaillent pas — Le chômage et la côte-du-rhône — Toujours fatigués — L’intello du bled — Chercheur il dit — À tout le monde — Il cherche quoi — Il boit du thé dans la matinée — Ça fait un bail que j’ai pas vu de nouveaux clients — À part des voyageurs de commerce — Toujours pressés — Hop sur le pouce — Pas causants — Les taiseux moi je supporte — Un jour ici — Un jour ici — Un jour là — Un jour là — Une chambre s’il vous plaît — Simple — Ça prend pas racine — Cette engeance — Avant la nuit, il va faire encore chaud — J’attendrai pas longtemps — Mes clients du soir — Bières — Pastis ou Suze — Il y a eu plus de monde — Dans le temps — Perroquets tomates feuilles mortes — Celle-là c’est pour moi — J’ai parlé trop vite — Qui est cette femme qui approche — Vers la fontaine — Elle va s’abreuver — Se rafraîchir peut-être — Qu’est-ce qu’elle avance doucement — Elle dépose ses sacs — Contre un des bas-reliefs du bassin — Un long mouvement fatigué — On dirait — Oui elle met ses mains en coupe — Elle boit l’eau — Non potable il paraît — Ferait mieux de venir par ici — Elle a repris ses bagages — On dirait qu’elle vient par ici — Une chambre peut-être — Elle a l’air fatiguée — Elle traîne des pattes — Racle le sol — Oui — Elle vient par ici — Elle cherche une chambre — Moi je veux bien — J’en ai moi des chambres — Pour la nuit — Pour plusieurs — Pourquoi pas
Voix intérieure 4
J’en ai ma claque de bosser dans cette étude — Je vois jamais rentrer les gosses de l’école — Je sais qu’ils font leurs devoirs — Mais c’est pas pareil — Je m’occupe mal d’eux — Je sors toujours à pas d’heure — Un bail de location à six heures du soir — J’ai pas pu refuser — C’était trop tard — J’avais déjà quasi dit oui — Je l’ai fait — Maintenant il est sept heures — Bientôt passées — Ils abusent les patrons — Ils me prennent pour une bête de somme — Plus bête tu meurs — Je dis toujours oui — Et c’est qui la dernière partie — Toujours moi pour fermer — Il a fait chaud aujourd’hui — Encore — Ça fait un moment que ça dure — Au moins une semaine — Ce week-end, c’est montagne pour tout le monde — Au moins avec les gamins — Il ne voudra sûrement pas venir — Si au moins il s’occupait de la maison — Toujours fourré au bar de l’hôtel — Toujours de beaux prétextes — Bon, il faut que je ferme la boutique — C’est pas tout ça — D’abord les fenêtres du fond — Finir par la vitrine à allumer — Pour la nuit — Pour chaque nuit — Les annonces notariales — Les immobilières — Qui va s’arrêter pour les lire après sept heures — Pas un chat — Ça y est je ferme la porte — Lourde — Là-bas une femme — Elle vient de la fontaine — Elle va vers l’hôtel — Pas la terrasse — Le perron — Elle est chargée — Je ne l’ai jamais vue — Elle est nouvelle dans le bourg — A dû arriver à la gare — Tout à l’heure — L’hôtelier la reçoit — Ils parlent brièvement — Elle est courbée sous ses sacs — Elle suit le taulier dans le hall — Je rentre à la maison — C’est pas trop tôt